1967-2017 : DE GAULLE, LA PILULE ET L’AVENIR DE LA FRANCE

par Franck Jullié

Acte 1. De Gaulle, 1965

« Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! »

De Gaulle parlait peu des femmes. Et quand il s’en occupait, c’était en leur qualité de mères de familles. Dans son esprit, le droit de vote obtenu en avril 1944, à son initiative, la réforme des régimes matrimoniaux, l’âge de la retraite en fonction du nombre d’enfants, les congés maternité suffisaient à leur émancipation.  Mais en même temps, il considérait que la femme est supérieure à l’homme. « Il y aura toujours assez d’hommes. Une seule giclée suffirait à féconder des milliers de femmes. C’est sur les femmes que repose le destin de la nation », dit-il en 1965 à Alain Peyrefitte, en lui expliquant pourquoi il accorde systématiquement sa grâce aux femmes condamnées à mort.

C’est pourquoi il s’oppose à la pilule contraceptive : « La pilule ? Jamais ! (…) On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l’amour ! (…) Si on tolère la pilule, on ne tiendra plus rien ! Le sexe va tout envahir ! (…) C’est bien joli de favoriser l’émancipation des femmes, mais il ne faut pas pousser à leur dissipation (…) Introduire la pilule, c’est préférer quelques satisfactions immédiates à des bienfaits à long terme ! Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! »

Acte 2. Lucien Neuwirth, 1967

L’homme qui s’est battu pour imposer la pilule contraceptive

Dans ce contexte, peu misent sur le succès de cette nouvelle proposition de loi. Notamment depuis que François Mitterrand, dans sa campagne présidentielle en 1965, s’est déclaré favorable à la légalisation de la contraception orale.

Mais c’était compter sans l’opiniâtreté de son promoteur, appuyé par sa collègue de gauche Jacqueline Thome-Patenôtre. Rapidement, le combat remonte jusqu’aux oreilles de Charles de Gaulle, très réticent à « sacrifier la France à la bagatelle ».

« Au cours d’un déjeuner privé à l’Élysée, il m’avait dit: “Dites donc Neuwirth, vous viendrez me parler de votre affaire” », a raconté le député. La rencontre a lieu quelques jours plus tard. Le président de la République écoute pendant près de 50 minutes les arguments du parlementaire. Sans dire un mot. « C’est difficile de plaider un dossier quand on ne vous relance pas », se souviendra Neuwirth des années plus tard. Alors que l’entretien s’achève, le député joue le tout pour le tout. «Mon général, à la Libération vous avez donné le droit de vote aux femmes, elles l’avaient bien gagné pendant la Résistance, lance-t-il. Les temps sont venus de leur donner le droit de maîtriser leur fécondité, elles représentent la moitié de notre peuple, elles ne peuvent pas être des demi-citoyennes. » « C’est vrai, transmettre la vie, c’est important, lui répond de Gaulle après un moment de silence. Il faut que ce soit un acte lucide, continuez ! »

Le mercredi suivant, à la plus grande surprise de son premier ministre Georges Pompidou, le président demande que la proposition de loi soit mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Au conseil des ministres du 7 juin 1967, De Gaulle dit, selon Alain Peyrefitte : Les mœurs se modifient, nous n’y pouvons à peu près rien.  Mais il ne faut pas faire payer les pilules par la Sécurité sociale. Ce ne sont pas des remèdes ! Les Français veulent une plus grande liberté de mœurs. Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle !  La loi autorisant la vente de la pilule contraceptive sera adoptée en décembre 1967.

Acte 3. Yvonne de Gaulle

Il n’aura fallu que deux ans au Général pour céder à la pression du médecin et député (gaulliste) Lucien Neuwirth. Comment une telle défaite spirituelle a-t-elle pu être possible ? Il faut compter avec l’influence d’Yvonne de Gaulle.

Pendant la présidence de son mari, de 1959 à 1969, Yvonne de Gaulle mène au palais de l’Élysée, avec son époux, un train de vie simple et mesuré. Discrète sur la scène publique, elle est surnommée par les journalistes « Tante Yvonne ». Catholique pratiquante, elle influe sur le conservatisme de son mari en matière de morale, et veille même à ce l’on tienne à l’écart des gouvernements les personnes divorcées ou coupables d’adultère. Une des premières choses qu’elle demande après être arrivée au palais est une pietà, que lui fournit le musée du Louvre. Le Général, qui invita l’actrice Brigitte Bardot, faillit décommander après les protestations de sa femme : en effet, elle refusait de recevoir au palais des personnes divorcées. Selon Bertrand Meyer-Stabley, elle « incarne la tradition, le respect des valeurs morales et le sens du devoir ». Ceci ne l’empêchera pas, cependant, d’intervenir auprès de son époux en faveur de la future loi Neuwirth, autorisant la contraception orale (la pilule).

Dans une des biographies les plus sérieuses consacrée à Yvonne de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour nous rappelle que Lucien Neuwirth n’eut pas de meilleur soutien que cette femme plaidant en faveur de la contraception auprès de son mari hésitant, voire réticent sur le sujet.

On a là la parfaite illustration d’une personne religieuse et morale dominée par une culture de mort. Dans ce parfait jeu de Cluedo qui se déroule à l’Elysée où tous sont coupables, on ne peut qu’être stupéfait.

Acte 4. Quel avenir pour la France ?

La réponse se trouve dans les travaux sur le comportement sexuel des peuples et les conséquences sur leur avenir du professeur d’anthropologie sociale à l’université d’Oxford et de Cambridge, Joseph Daniel Unwin (1895-1936). Dans son étude magistrale de 1934, Sex and Culture, fruit de sept années de travail à étudier les naissances et morts de 86 civilisations réparties sur 5000 ans d’histoire, J.D. Unwin a mis en évidence pour la première fois le lien de cause à effet entre le comportement sexuel des peuples et leur avenir.

Unwin s’est intéressé à leurs comportements prénuptiaux et postnuptiaux. Il a mis ainsi en lumière une corrélation (un lien statistique) significative entre ces coutumes et la capacité d’une société à développer et maintenir une énergie expansive au-delà de son territoire, l’énergie expansive pouvant être définie en tant que capacité à rayonner et exercer une influence chez les autres nations. Unwin a affirmé qu’aucune des sociétés ayant exercé une telle influence pendant une nouvelle génération complète, n’avait hérité d’une tradition qui n’insiste pas en même temps sur la continence prénuptiale et postnuptiale.

Il a rapporté, de sa recherche exhaustive, que chaque culture connue dans l’histoire du monde a suivi le même schéma de sexualité sociale. Durant les premiers jours de son existence les relations sexuelles prémaritales et extra-maritales étaient strictement prohibées. Un haut niveau d’énergie créative émergeait de cette inhibition de l’expression sexuelle, amenant la culture concernée à prospérer. Plus tard dans la vie de la société, ses individus commençaient à se révolter contre les interdits, demandant la liberté d’exprimer leurs pulsions intérieures. En même temps que les mœurs se relâchaient, l’énergie (globale) s’estompait, entrainant éventuellement le déclin de la destruction de la civilisation.

Unwin a conclu que l’énergie qui maintient une société ensemble est sexuelle par nature. Quand un homme est exclusivement réservé à une femme et une famille, il est motivé à construire, sauver, protéger, planifier et prospérer pour leur bien-être. Cependant, quand les intérêts sexuels mâles et femelles sont dispersés d’une façon généralisée (dans une culture ou un empire), leur effort est investi dans la gratification des désirs sensuels. Unwin a écrit: “Toute société humaine est libre, soit de s’investir beaucoup, soit de profiter d’une grande liberté sexuelle; ce qui ressort étant qu’ils ne peuvent se donner aux deux pour plus d’une génération”.

Ce qui est intéressant dans la démarche d’Unwin, c’est qu’il est parti avec une idée très différente au départ de sa recherche de celle à laquelle il aboutira à la fin de son étude. Au reste, Unwin n’avait pas de convictions chrétiennes particulières.  Influencé par le Freudisme, il imagine que la morale judéo-chrétienne est un facteur d’inhibition de l’énergie vitale des peuples, de l’esprit dionysiaque, pour reprendre un précurseur de Freud. Les remarques de Freud sur certains cas d’hystérie l’aiguillent sur cette voie. Il arrivera, par l’objectivité d’un travail universitaire remarquable, à la conclusion strictement inverse. Les sociétés performantes convertissent leur énergie sexuelle en énergie sociale. On ne peut que regretter que ses travaux, très connus dans les milieux anglo-saxons, ne soient pas encore traduits en français.

Serons-nous capable de proposer au prochain président de la République de lire une version française de cette étude magistrale ?

 

Liens utiles :

http://www.lefigaro.fr/politique/2013/11/26/01002-20131126ARTFIG00359-lucien-neuwirth-l-homme-qui-s-est-battu-pour-imposer-la-pilule-contraceptive.php

http://www.lesmotsdelavrepublique.fr/nous-nallons-pas-sacrifier-la-france-a-la-bagatelle-de-gaulle-1965/

 

Eric Kayayan
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