L’OMBRE DES CHOSES A VENIR

Quant on parle d’ombre(s) cela signifie-t-il que l’on évoque des ténèbres, une obscurité étouffante et oppressante? Dans notre expérience courante, une ombre, n’est-ce pas d’abord et avant tout ce qui précède ou suit nécessairement la réalité d’un objet ou d’une personne, et qui en présente les contours, suivant la position de cet objet ou de cette personne par rapport à la source de la lumière?  Donc si l’ombre précède une telle personne, cela signifie que la venue de celle-ci est imminente, puisqu’elle lui est indissociablement liée, elle l’accompagne  justement « comme son ombre ».  Prenons une personne qui marche vers l’ouest le matin, alors que le soleil apparaît à l’est: son ombre la précède jusqu’à ce que le soleil étant au zénith puis apparaissant à l’ouest, l’ombre se déplace derrière la personne en marche.  Il s’agit bien du même soleil et de la même personne, mais la position du soleil par rapport au marcheur va progressivement déplacer celle de l’ombre.

En quoi donc cette question concerne-t-elle le lecteur de la Bible?  Et bien parce qu’elle se pose très particulièrement par rapport à l’expression « l’ombre des biens à venir » que l’on trouve au début du chapitre dix de la lettre aux Hébreux, dans le Nouveau Testament.  Comme dans la majeure partie de sa lettre, l’auteur y parle du rapport entre l’Évangile et la Loi de l’Ancien Testament (la Loi donnée à Moïse par l’intermédiaire de Moïse, et plus particulièrement le système sacrificiel qui y a été institué sur une base régulière, notamment dans le livre du Lévitique).  Cet auteur écrit ceci (10:1-4): La Loi, en effet, possède une ombre des biens à venir et non pas l’exacte représentation des réalités; c’est pourquoi elle ne peut jamais, par les sacrifices toujours identiques qu’on présente perpétuellement chaque année, amener à la perfection ceux qui s’approchent (ainsi de Dieu). Sinon, n’aurait-on pas cessé d’en présenter, puisque ceux qui rendent ce culte auraient été purifiés une fois pour toutes et n’auraient plus eu aucune conscience de leurs péchés?  Mais par ces sacrifices on rappelle chaque année le souvenir des péchés.  Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte les péchés.

Dans le même ordre d’idées, l’apôtre Paul écrit dans sa lettre aux chrétiens de Colosses, à propos d’usages particuliers pratiqués par les uns ou les autres (2:16-17): Ainsi donc, que personne ne vous juge à propos de ce que vous mangez et buvez, ou pour une question de fête, de nouvelle lune, ou de sabbats : tout cela n’est que l’ombre des choses à venir, mais la réalité est celle du Christ.  Ces deux auteurs de lettres contenues dans le Nouveau Testament utilisent la même analogie de l’ombre (le mot skia en grec). Il vaut donc la peine de se pencher sur le sens de l’expression qu’ils utilisent dans un contexte très proche l’un de l’autre.

Pour l’auteur de la lettre aux Hébreux, les sacrifices répétés d’animaux en signe d’expiation des péchés du peuple sont un rappel nécessaire de cette condition de péché et de la tout aussi nécessaire expiation qui doit avoir lieu pour y remédier. Cependant, dans le même temps ils ne sont pas capables de l’effectuer matériellement par eux-mêmes.  Il ne veut pas dire que ces sacrifices étaient inutiles ou qu’ils n’ont pas rempli la fonction pour laquelle ils avaient été institués, mais que dans la mesure où ils étaient une ombre du seul sacrifice parfait qui allait pouvoir accomplir une fois pour toutes cette œuvre  rédemptrice – celui offert par Jésus-Christ sur la Croix – ils ont joué un rôle prophétique en annonçant sa venue.  Pas seulement un rôle prophétique au sens de discours symbolique, d’ailleurs, mais préfiguration entièrement liée à la réalité à venir, tout comme l’ombre précède et reflète la personne qui s’avance. Ce qui caractérisait la forme de l’ombre dans ces sacrifices de l’Ancien Testament, c’était donc dès le départ la personne du Christ.  C’est elle seule qui a pu donner l’apparence et la consistance à ces sacrifices.  Dieu n’a certainement pas trompé son peuple dans l’Ancien Testament en lui prescrivant d’accomplir des sacrifices qui n’auraient eu de toute manière aucune utilité. En préfigurant le seul sacrifice expiatoire capable de véritablement effacer les péchés du peuple de Dieu, ceux de l’Ancien Testament dérivaient leur efficacité de celui qui allait accomplir dans sa chair même tout ce qu’ils figuraient. Il est donc impossible de dissocier la personne du Christ de ce qui préfigurait sa venue dans l’Ancien Testament.

De son côté, l’apôtre Paul ne doute pas de la présence du Christ au milieu du peuple d’Israël en route pour la terre promise, lorsqu’il écrit dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe (10:1-4): Frères, je ne veux pas que vous l’ignoriez ; nos pères ont tous été sous la nuée, ils ont tous passé au travers de la mer, ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, ils ont tous mangé le même aliment spirituel, et ils ont tous bu le même breuvage spirituel car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ. Paul parle ici du baptême du peuple de Dieu dans l’Ancien Testament et d’un repas à à la fois matériel et spirituel comprenant nourriture et breuvage (la manne qui leur a été accordée pour les nourrir durant leur séjour au désert, et l’eau du rocher d’Horeb qui les a abreuvés).

Qu’il s’agisse donc de la lettre aux Hébreux ou celle de Paul aux Colossiens, deux choses sont assez claires : 1. les ombres qui sont mentionnées figurent de près une réalité à venir et l’annoncent, revêtant ainsi un rôle prophétique ; 2. une fois que cette réalité est apparue, ceux qui l’ont contemplée ne peuvent plus revenir aux ombres comme si elles étaient supérieures à la réalité qu’elles figuraient.  Traduisons ceci par rapport à la personne du Christ : c’est bien lui qui est déjà présent dans les figures de l’Ancien Testament, mais pas encore sous une forme parfaitement révélée. Avec son incarnation et son œuvre d’expiation à la Croix, toutes les figures ont été accomplies, les ombres  qui l’annonçaient ont laissé la place à sa présence même. Il ne peut être question de nier son apparition et la perfection de son œuvre en restant figé sur les ombres qui le précédaient, car ce serait purement et simplement rejeter le plan de salut de Dieu dans son accomplissement.

Sur ces deux textes bibliques et leur signification laissons-nous guider par le commentaire qu’en a donné le réformateur Jean Calvin.  Il écrit ceci à propos de Hébreux 10:1:

Il [l’auteur] a emprunté cette similitude à l’art des peintres; car il prend ici ce mot ombre autrement qu’il n’est pris en Colossiens 2:17, où saint Paul appelle les cérémonies anciennes ombres parce qu’elles n’avaient point au-dedans la ferme réalité des choses qu’elles figuraient.  Mais ici l’Apôtre dit qu’elles ont été semblables à des traits grossiers, qui sont comme l’esquisse de la peinture définitive.  Car les peintres ont coutume de dessiner au charbon les traits qu’ils se proposent de reproduire ou de représenter avant que d’étendre les vives couleurs du pinceau.  L’Apôtre met donc cette différence entre la Loi et l’Évangile: que ce qui aujourd’hui est tiré au vif et peint de vives couleurs, a été seulement  figuré sous la Loi et représenté grossièrement.  Par ce moyen il confirme à nouveau ce qu’il a dit ci-dessus, à savoir que la Loi n’a point été une chose vaine, ni ses cérémonies inutiles.  Car, quoiqu’il n’y ait point eu là une image parfaite des choses célestes, comme quand l’ouvrier y a mis la dernière main, toutefois cette sorte de manifestation a été grandement profitable aux pères, bien que notre condition soit meilleure.  Et il faut noter que ces mêmes choses, qui nous sont maintenant mises devant les yeux, leur ont été montrées de loin.  C’est pourquoi eux et nous avons un même Christ, une même justice, une même sanctification et un même salut; il n’y a différence ou diversité qu’en la manière de les peindre.

Je pense que par ces mots les biens à venir il entend les biens éternels.  Je confesse bien que le règne de Christ, qui nous est présent, a été jadis annoncé comme devant encore venir; mais les paroles de l’apôtre signifient que nous avons le vivant portrait des biens à venir.  Il entend donc cet exemplaire et ce patron spirituel, dont la pleine jouissance est différée jusqu’à la résurrection et au siècle à venir.  Du reste, je confesse encore que ces biens ont commencé d’être révélés dès le commencement du règne de Christ; mais il est maintenant question de ce que les biens sont ici appelés à venir, non seulement à l’égard du vieux testament, mais parce que nous aussi les espérons encore.

Quant au texte de Colossiens 2:16-17, Calvin écrit le commentaire suivant:

La cause pour laquelle il délivre les chrétiens de l’observation des jours, c’est parce que c’étaient des ombres seulement du temps que le Christ était en quelque sorte absent.  Car il oppose les ombres à la révélation, et l’absence à la manifestation.  Ceux qui suivent encore les ombres, font donc comme si quelqu’un considérait la forme de l’homme par son ombre, et que cependant il eût l’homme en personne devant ses yeux.  Car Christ nous est maintenant manifesté, et nous jouissons de lui comme présent.  « Mais le corps en est de Christ » [mais la réalité est celle du Christ] c’est-à-dire en Christ.  Car la substance des choses que les cérémonies figuraient autrefois, nous est mise devant les yeux en Christ, parce qu’il contient en soi tout ce que les cérémonies annonçaient pour l’avenir.  C’est pourquoi celui qui remet en usage les cérémonies, ou il ensevelit la manifestation du Christ, ou il dépouille Christ de sa vertu et, par manière de dire, le rend inutile, et complètement vide.

La centralité de la personne du Christ pour saisir l’unité de toute la Révélation biblique est du reste fortement soulignée par Calvin dès son commentaire sur le premier chapitre.  Il vaut donc vraiment la peine d’en citer un extrait (portant sur 1:12) en conclusion de cet article:

« Rendant grâces à Dieu et Père »: Il retourne encore à l’action de grâces, afin que par cette occasion il leur rappelât quels bienfaits ils ont reçus par Christ; et par là il entre dans la pleine description du Christ.  Car c’était le seul remède pour fortifier les Colossiens contre toutes les embûches par lesquelles les faux-apôtres voulaient les surprendre, à savoir de bien comprendre ce qu’est le Christ.  Car d’où vient que nous sommes menés çà et là par tant de doctrines diverses, sinon de ce que nous ne connaissons point quelle est la puissance du Christ?  Car seul le Christ fait que toutes les autres choses s’évanouissent soudain.  C’est pourquoi il n’y a rien à quoi Satan ne s’efforce davantage, que de mettre des brouillards au-devant pour obscurcir le Christ, parce qu’il sait bien qu’alors la porte est ouverte à tous les mensonges.  Voici donc le seul moyen, tant pour comprendre et retenir, que pour rétablir la pure doctrine: c’est de proposer le Christ devant les yeux tel qu’il est, avec tous ses biens, afin que sa puissance soit vraiment ressentie.

(…) Quiconque considérera le point principal de ce premier chapitre, connaîtra bien ceci sans aucune difficulté.  Car il n’y traite rien d’autre, sinon que nous sachions que le Christ est le commencement, le milieu et la fin; que c’est de lui qu’il nous faut recevoir toutes choses, et que hors de lui il n’y a rien, et qu’on n’y peut rien trouver.

Eric Kayayan
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