Dialogue DIALOGUE & ANTILOGUE
RÉFLEXIONS CHRÉTIENNES SUR LA PEINE DE MORT

par Claude Maugeais

QUELLE EST LA NORME ET OU SE SITUE L’AUTORITÉ ?

Sur ce thème comme sur tous les autres, la question fondamentale qui se pose encore et toujours à nous est la suivante: quelle est la norme ? Où se situe l’autorité ?  Et la réponse à lui donner est encore et toujours : la norme, c’est la Loi alliancielle révélée dans la Sainte Écriture. Elle est au cœur de notre religion, c’est-à-dire de notre relation à Dieu et de notre service cultuel et culturel.  Car si ce n’est pas elle, une autre norme et une autre source d’autorité prévaudront nécessairement.  A cet égard, le théologien américain R.J Rushdoony écrit ce qui suit:

En toute culture, le Droit, la Loi, est d’origine religieuse… La source du Droit est le dieu de toute société. Si la raison humaine est la source du Droit, c’est que la raison humaine est le dieu de cette société-là. Si c’est une oligarchie, ou une Cour suprême, ou un Sénat, ou un chef d’État qui est à la source du Droit, cette source est alors le dieu du système… L’humanisme moderne, en plaçant la source du Droit dans le peuple ou dans l’État, désigne le dieu de son système… Dans la culture occidentale, la source du Droit a été transférée de Dieu au peuple ou à l’État, alors que le pouvoir historique et la vitalité de l’Occident avaient été longtemps situés dans la Foi et le Droit bibliques” (« Institutes of Biblical Law », 1973,  p. 4-5).  

Tout chrétien fidèle est appelé à : “Sanctifier en son cœur le Seigneur Jésus-Christ et à être toujours prêt à défendre [en grec: apologia], avec douceur et respect, l’espérance chrétienne devant quiconque lui en demande compte” (1 Pierre 3:15-16).  Cette défense s’effectue avec d’autres armes que celles auxquelles on pense traditionnellement, mais ces armes sont en fait bien plus puissantes, comme l’apôtre Paul l’affirme en 2 Corinthiens 10:4 et 5: “Les armes que nous utilisons dans notre combat ne sont pas d’origine humaine; leur puissance vient de Dieu, pour la destruction des forteresses ; nous détruisons les faux raisonnements et tout ce qui se dresse orgueilleusement contre la connaissance de Dieu, faisant captive toute pensée pour l’amener à obéir au Christ“.

Voilà qui nous oblige en conscience [nous, c’est-à-dire tous les membres de l’Église de Christ] à croître dans l’intelligence de la foi et donc dans la connaissance de l’Écriture du Christ et du Christ de l’Écriture, car “la foi vient de ce qu’on entend et ce qu’on entend vient de la Parole de Dieu” (Romains 10 :17). L’évangélisation, en tant que vocation et tâche de tous (Matthieu 28:18-20), c’est d’abord et surtout – et ce n’est pas le plus facile – cette apologie-là, dans les contacts ordinaires de l’existence avec les prochains, quels qu’ils soient, dans toutes les sphères de l’existence, y compris la politique.

UN PEU D’EXÉGESE

Commençons donc par faire une courte exégèse du mot « tuer » dans l’AT.

On trouve 4 verbes différents en Hébreu, là où la traduction en français n’en propose qu’un : « tuer ».

  • ﬣﬧגּ (harag) : Tuer dans le sens d’assassiner, de venger.  Commettre un meurtre de manière volontaire, préméditée (Gen 4:8 ; Gen 4:23).
  • קּטּﬥ (qatal) : Tuer, l’acte lui-même. C’est un terme applicable à Dieu, à un homme, à un fidèle ou un impie (Job 24:14 ; Ps 119:19).
  • ﬧצּﬣ (ratsah) : C’est le verbe employé dans les deux versions du Décalogue (Ex 20:13 et Deut 5:17). Meurtre personnel volontaire ou Nous avons ici la même racine que « meurtre et meurtrier », mais avec une plus grande richesse de sens. Le meurtre par vengeance entre également dans ce cadre.
  • מּﬧﬨ (marat) : Tuer dans le sens de mettre à mort à la suite d’une sentence, d’un jugement (Lev 24:21), mettre à mort un meurtrier. Ce vocable désigne aussi la mort (il possède la même racine). C’est ce verbe que l’on trouve dans toutes les sentences de la loi du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome (et qui établit bibliquement la peine de mort pour un péché, une idolâtrie, ou un meurtre, comme en Deut 13:9-11 et 24:16).

UNE TRADUCTION ADÉQUATE POUR UNE COMPRÉHENSION ADÉQUATE

Cette courte exégèse a son importance, car un des arguments favori des opposants à la peine de mort c’est justement le sixième commandement du Décalogue. Il est d’ailleurs très instructif et significatif de constater que cet argument est commun aux chrétiens et aux non-chrétiens qui rejettent la peine de mort ! Ainsi, le verbe employé en Ex 20 et Deut 5 : « ratsah » est généralement traduit  par “tuercommettre un meurtre ou un assassinat“.  Or ce n’est pas une traduction adéquate, parce que ces verbes incluent tous les trois une préméditation, en tout cas un acte volontaire (d’après la définition du Robert), alors que le terme hébreu utilisé dans le Décalogue « ratsah » n’exige pas ce caractère volontaire : il peut s’agir d’un meurtre par négligence, ou inadvertance, bien distinct du meurtre prémédité.

L’hébreu, qui est une langue très riche pour décrire l’action de tuer son prochain, emploie ici un verbe : « ratsah », qui n’est employé ni pour l’exécution des criminels (marat), ni pour les tueries en temps de guerre (qatal, harag). Ce sixième commandement, traduit par “tu ne tueras pas“, devient donc le cheval de bataille des objecteurs de conscience et des non-violents, et même leur argument principal. Mais ils oublient  – ou tout simplement ignorent – que dans ce passage de l’Écriture, le Saint Esprit n’a pas choisi le verbe habituellement employé en hébreu pour signifier « tuer » dans le sens de mettre à mort à la suite d’une sentence ou d’un jugement.

Pour bien comprendre ceci il faut étudier le contexte du don du Décalogue, et son préambule (Ex 20:2-3 ; Deut 5:6-7). C’est le moment ou Dieu délivre Israël  de la servitude en Egypte et le conduit au désert pour le constituer comme nation. Le commandement central auquel sont rattachés tous les autres afin qu’ils prennent tout leur sens, est : “Pour toi, il n’y aura pas d’autres dieu, sinon moi !

Qu’est-ce que cela signifie sur le plan pratique et éthique ?  C’est que nous ne pouvons pas nous poser en dieu de notre frère, et par conséquent disposer arbitrairement nous-mêmes de sa vie, ou bien  de sa femme  (septième commandement), ou encore de ses biens (huitième commandement). Il n’y a pas pour nous  – chrétiens – d’autre Dieu que le Seigneur. Il n’y a pas pour moi, ni pour les autres membres du peuple de Dieu,  d’autre Dieu que l’Eternel dans nos rapports mutuels.  Le Créateur, Sauveur et Juge, est le Seigneur de la vie des autres et le Seigneur de la mort des autres.

Ce commandement  est aussi une promesse, une protection pour ces « autres », car elle montre qu’aucun homme ne peut se poser, en tant que tel, comme le dieu, le maître ou le juge des autres. Sur le plan créationnel, aucun homme n’a un droit de vie ou de mort sur un autre homme. Cette fonction déléguée au magistrat sous le regard et la vigilance des prêtres (Nombres 35), est une prérogative exclusive de Dieu. De la même manière, aucun homme n’a le droit de ravir l’épouse ou les biens d’un autre (l’exemple typique dans la Bible étant celui de David vis-à-vis de Bathshéba; dans cette affaire, David a cumulé les transgressions contre le  Décalogue : convoitise, adultère, mensonge, vol, meurtre).

La Loi biblique concernant la peine capitale est donc soumise au droit, au code, établi par le Seigneur Dieu dans Sa Parole, et elle est confiée aux magistrats sous la vigilance des prêtres (les Lévites dans l’Ancien Testament  et le sacerdoce royal dans le Nouveau Testament  – 1 Pierre 2:9  -).

Il y a donc une séparation des pouvoirs, voulue par Dieu, et un équilibre entre la prêtrise et la noblesse, ou les dirigeants, qui permettent d’éviter l’arbitraire. Et si besoin est, par exemple en cas d’alliance des pouvoirs,  Dieu envoie un troisième pouvoir : les prophètes.

LE BUT ET LA SIGNIFICATION DU SIXIEME COMMANDEMENT

 Ce sixième commandement  a un double but :

  • Faire passer le droit de vie ou de mort entre les mains de la « justice », en interdisant à l’individu d’exercer sa propre vengeance.
  • Interdire à tout individu, fût-il roi ou prêtre, de se considérer comme le dieu des autres, un dieu qui pourrait disposer de ce qu’ils ont ou de ce qu’ils sont.

Que signifie le sixième commandement pour nous, aujourd’hui ? Le définir est une tâche vaste et complexe, car il semble tout englober, ou presque : la justice, la peine de mort, la violence et les « casseurs », la guerre, le totalitarisme, le terrorisme, la responsabilité collective de la faim dans le monde, la pollution, le suicide, l’euthanasie, l’avortement.

Ce que nous pouvons déjà dire, c’est que :

  • La signification de ce commandement pour nous aujourd’hui se trouve dans la Révélation qu’est l’Ecriture Sainte.
  • Son sens est dans la Parole de Celui qui l’a donné, aujourd’hui comme hier.
  • Ensuite vient un travail collectif de mise en commun des dons et compétences, accordés par Dieu à ses élus – les rachetés par le sang du Christ – qu’ils soient théologiens ou spécialistes d’autres disciplines.
  • Enfin il faut accepter le fait que lorsqu’on aborde des sujets éthiques, c’est-à-dire des situations concrètes, on est obligé d’assumer un risque: le risque de se tromper. On ne passe jamais sans risque de la Parole de Dieu révélée, à son application vécue.
  • En clair, notre incarnation de la Parole de Dieu sera toujours personnelle. Cela signifie que nous pouvons lourdement nous tromper.

Nous devons donc être humbles et prêt à nous réformer si nécessaire, car le seul repère fixe dont nous disposons, n’est pas le sixième commandement lui-même, mais le premier: Pour toi, il n’y aura pas d’autres dieu, sinon moi !“, dont le sixième  n’est que la conséquence.  Cette remarque est du reste valable pour les neuf  autres commandements.

En ce qui concerne la peine de mort  il est important de souligner que le sixième commandement  ne l’interdit pas, puisque justement son rôle essentiel est de faire passer le droit de vie et de mort  des mains de l’individu aux mains de la justice. Pour nous qui vivons au bénéfice du Nouveau Testament, l’épître de Paul aux Romains (13:4) nous avertit que : “Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance [εκδικος] et punir celui qui fait le mal“.  Dans son commentaire sur Romains 13:4, Calvin a cette phrase si forte et si pertinente pour qui craint Dieu : “Et voici un passage notable pour prouver la puissance du glaive : car si le Seigneur, en armant le magistrat, lui a aussi confié et commandé l’usage du glaive, toutes les fois qu’il punit de mort les malfaiteurs, en exécutant la vengeance de Dieu, il obéit à ses commandements. Que ceux donc qui disent que c’est mal faire de répandre le sang des malfaiteurs, aillent plaider contre Dieu.”

Ceci veut également dire que les juges et les jurés, lorsqu’ils doivent décider, reçoivent une délégation du pouvoir de Dieu pour un temps, et que prendre au sérieux cette délégation, c’est justement ne pas se prendre pour Dieu. Le juge n’est pas le bien en face du mal; c’est un homme, rien qu’un homme,  qui doit cependant juger un autre homme. Le juge a donc besoin de la Loi de Dieu, du secours de Dieu et des ministères que Dieu a oints.

EN CONCLUSION

Quelques remarques s’imposent :

  • Tous les châtiments révèlent à l’homme trois choses : 1. une situation, celle de pécheur ; une logique, celle qui conduit du péché au châtiment ; 3. une Personne, Le Dieu vivant qui juge et qui sauve. “Car le salaire du péché c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur” (Romains 6:23). “Jésus notre Seigneur, lequel à été livré pour nos offenses et est ressuscité pour notre justification” (Romains 4:25).
  • La peine de mort est un châtiment qui devient un scandale intolérable dès que l’on perd le sens théologal des trois réalités sous-jacentes au châtiment : le péché, la colère, le jugement.
  • Le châtiment est une barrière au péché.
  • Certains diront que nous ne sommes plus dans l’Ancien Testament mais dans le Nouveau Testament. Ceci est exact, mais en Matthieu 5:17, Jésus-Christ prend lui-même soin de dissiper tout malentendu, toute antinomie à ce sujet : “Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes : je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir“.
  • Pour opérer une critique philosophique de notre propre position par rapport à la peine de mort, il faut être non seulement capable d’examiner nos présupposés, mais encore capable d’identifier la source de ces derniers. C’est-à-dire qu’il nous faut être capable de distinguer et de choisir entre la source biblique et une quelconque source apostate en fonction de notre question initiale: quelle est la norme et où se situe l’autorité ?

 

Claude Maugeais

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