LE BOUCLIER DE LA FOI (1)

Afin de compléter la série d’articles consacrés à l’Église sous la Croix publiée récemment sur ce blog, il est utile de donner une idée de ce que professaient – ou confessaient – les Protestants qu’on persécutait aux 17e et 18 siècles dans le royaume de France.  Comment définissaient-ils leur foi chrétienne ?

Un ouvrage paru dès 1618 sous la plume du pasteur Pierre du Moulin (1568-1658), Bouclier de la Foi, nous y aidera. A cette époque, Du Moulin était pasteur de l’Église de Charenton, située en dehors de Paris, puisque, selon les termes de l’Édit de Nantes de 1598, les Protestants n’avaient pas le droit de disposer d’un édifice cultuel à moins de cinq lieues de Paris intra-muros.  Le temple de Charenton (œuvre remarquable de l’architecte protestant Salomon de Brosse, également auteur du Palais du Luxembourg, aujourd’hui siège du Sénat), fut incendié par les adversaires des Protestants vers 1621, puis reconstruit. Il fut finalement complètement démoli au moment de la Révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV (octobre 1685).

Le sous-titre de l’ouvrage de Du Moulin est : Défense de la Confession de Foi des églises réformées du Royaume de France, contre les objections du sr Arnoux, Jésuite, livre auquel sont décidées toutes les principales controverses entre les Églises Réformées & l’Église Romaine.

De quoi s’agissait-il ?  Le Père Jean Arnoux, nouveau confesseur du roi Louis XIII, avait prêché le 25 juin 1617 devant le roi et sa cour, à Fontainebleau, un sermon qui attaquait assez systématiquement les doctrines confessées par les Réformés.  Ce sermon, repris quelques jours plus tard avec de nouveaux développements, avait eu un retentissement considérable et on avait alors demandé à quatre pasteurs des environs de Paris, dont Du Moulin, d’y répondre.   C’est à partir d’une brochure publiée par ces pasteurs et vendue à Charenton peu après ces attaques (elle était précédée d’une lettre au roi), que Du Moulin développa son Bouclier de la Foi. Cet ouvrage reprend tous les articles de la confession de foi des réformés français, et ajoute à la fin une section supplémentaire destinée à contrer d’autres objections. Jusqu’à sa dernière édition en 1846, cet ouvrage constituera l’exemple type d’une apologétique destinée à réfuter l’argumentaire adverse et à fournir des explications concernant les doctrines crues et confessées par les Réformés.

La préface de l’ouvrage est adressée à « Messieurs de l’Église Romaine ».  C’est en quelque sorte un résumé de l’ouvrage, et aussi un appel à se ranger à l’autorité de l’Écriture Sainte comme seule norme pour décider de toutes les matières doctrinales concernant la foi chrétienne. Comme l’écrit Lucien Rimbauld dans l’ouvrage qu’il a consacré à Du Moulin (Pierre du Moulin 1568-1658, un pasteur Classique à l’Age Classique, Paris, Vrin, 1966, p. 83) : « [Cette préface] constitue à elle seule un véritable traité, aussi a-t-elle été parfois imprimée à part sous le titre de Lettre à MM. De l’Église romaine.  Sa présence, au seuil de l’ouvrage, indique clairement l’intention de ne pas faire du Bouclier un manuel à l’usage des seuls fidèles protestants.  Il est destiné au grand public, et spécialement aux Catholiques, à qui sont remises les pièces du procès : la confession de foi, les critiques d’Arnoux et la défense de Du Moulin. »

Voici une première série d’extraits de cette préface remarquable aussi bien par son ton que par les matières qu’elle expose, à partir d’une édition augmentée par l’auteur en 1630. (Pour une bonne compréhension de ce texte aujourd’hui, l’orthographe et le vocabulaire ont été très légèrement modernisés ici ou là).

Préface à Messieurs de l’Église Romaine

Messieurs

Les choses que j’ai à vous représenter, seraient peut-être mieux reçues, si elles vous étaient présentées par une autre main.  Pourtant j’ose dire que jamais personne n’a parlé à vous qui fût plus vide de haine, ou plus désireux de votre bien et salut.  La Parole de Dieu, dont nous puisons notre Religion, nous commande d’aimer ceux qui nous haïssent, et de croire que ceux qui nous ont persécutés, ont pensé, en faisant cela, rendre service à Dieu.  Tout esprit qui cherche la vérité doit être ainsi disposé. Sans cela il est impossible de tirer aucun fruit de notre communication.  Car jamais une plaie ne se referme pendant que dure l’inflammation.  Et tout ainsi que dans une maison qui brûle ceux qui parlent ne sont point entendus, ainsi jamais nous ne nous entendrons l’un l’autre pendant que nos esprits seront embrasés de haine et d’animosité. L’étude de la vérité sacrée demande un esprit tranquille, qui pèse mûrement les choses sans se heurter aux personnes : car quelle raison valable y a-t-il de haïr quelqu’un parce qu’il se fourvoie, ou parce que nous pensons voir plus clair que lui ?

(…) Mais le mal est sans remède en celui qui s’étudie à ignorer, et craint de connaître la volonté de Dieu, de peur d’être obligé à la suivre.  C’est là, Messieurs, la maladie de ce siècle, auquel le peuple fait profession de suivre sans connaître, et de croire son Église sans savoir ce que l’Église doit croire.  Et se repose sur la foi d’autrui sans savoir la règle de foi, qui est la Parole de Dieu : comme si ceux qui nous conduisent devaient être nos garants au jugement de Dieu ; ou comme si c’était une vertu que croire en Dieu par procuration.

Le peuple doit certes obéir à ses conducteurs, pourvu que Dieu soit le leur ; et croire ce qu’ils enseignent, pourvu que ce qu’ils enseignent soit tiré de la parole de Dieu.  Laquelle s’ils cachent au peuple et en empêchent la lecture, c’est le signe, ou qu’ils se sentent coupables, ou qu’au lieu de s’assujettir à cette règle, ils veulent que la règle souveraine soit leur autorité.  Car pourquoi la parole de Dieu contenue dans les saintes Écritures nous serait-elle suspecte, comme un livre dangereux ?  Pourquoi ne sera-t-il permis aux enfants de voir le Testament de leur père ?  L’apôtre saint Paul a écrit ses Épîtres au peuple de Rome, de Corinthe et d’Éphèse, afin qu’il les lût : pourquoi donc le peuple Chrétien aujourd’hui sera-t-il privé de cette lecture ?  Les Épîtres Catholiques de saint Jacques, de saint Pierre et de saint Jean, sont écrites à tous les fidèles en général : pourquoi donc le peuple chrétien ne lira-t-il point les lettres qui s’adressent expressément à lui, et sont écrites pour son instruction ?  Pourquoi ne pourra-t-il lire les écrits des Prophètes, aussi bien que le peuple de Bérée, qui sortant de la prédication de saint Paul allait la comparer avec les Écritures ?  A quel propos alléguer dans les Sermons des passages de l’Écriture, s’il n’est permis à l’Auditeur d’aller consulter l’Écriture, pour voir s’ils ont été fidèlement allégués ?  Chose horrible que dans les pays où règne l’Inquisition, ce soit un crime digne du bûcher que d’avoir une Bible en langue vernaculaire, pendant que non seulement la lecture des mythes est tolérée, mais aussi la prostitution y est établie par des lois, et par des règlements publics !  Et si c’est la traduction qui déplaît à sa Sainteté, au moins devrait-il donner ordre qu’il y en ait une qui lui convienne.

Dire que quelques-uns abusent de cette lecture, c’est accuser les Apôtres d’imprudence, d’avoir écrit leurs Épîtres au peuple Chrétien, sans prévoir qu’il en pourrait abuser.  Par même raison on devrait aussi défendre la Prédication, puisque plusieurs en abusent.  On abuse même de la bonté de Dieu.  Qui plus est, on ne trouvera jamais qu’aucun peuple ait forgé des hérésies par la lecture de l’Écriture : tous les Hérésiarques ont été des personnes qui avaient en charge l’Église.  Que si pour lire l’Écriture sainte il faut avoir permission spéciale, n’est-ce pas une chose misérable qu’on ne puisse obéir à Dieu sans permission ?  Et que Dieu ne puisse avoir des serviteurs sans permission de l’Évêque Romain ?  Ou bien si on dit qu’il n’appartient pas aux ignorants de la lire : je réponds que tout homme est ignorant en la religion avant que l’avoir lue, et qu’on ne peut sans impiété mettre un savoir en la religion avant, et sans l’Écriture.

Secouez donc, Messieurs, cette crainte scrupuleuse, par laquelle Dieu est outragé.  Comme si sa parole était contagieuse, et un piège tendu aux consciences infirmes.  De peur qu’envers vous ne soit accomplie la Prophétie d’Ésaïe [5 :13] : Mon peuple est captif parce qu’il est sans connaissance, et le dire du Sauveur [Matth. 22:29] : Vous êtes dans l’erreur, ne connaissant pas les Écritures.  Ne vous laissez point arracher des mains ce trésor précieux, ce contrat de notre mariage spirituel avec le Fils de Dieu.  Ayez pour suspects ceux qui durant la nuit de l’ignorance cachent cette lumière céleste, et cependant allument des chandelles en plein midi.  N’espérez point être sauvés par la foi d’autrui : car Dieu nous déclare que le juste vivra de sa foi.  Et que si un aveugle mène un aveugle, ils tomberont tous deux en la fosse.

Or pour reconnaître qu’on vous ôte l’Écriture non pour vous contenir en sobriété, mais pour vous tenir en ignorance, considérez qu’en l’Église Romaine on vous lit publiquement quelques chapitres de l’Écriture sainte en une langue que vous ne comprenez pas [le latin].  Si en ces chapitres il était parlé à Dieu, on dirait pour excuse que Dieu comprend toutes les langues : mais ces chapitres sont enseignements divins dans lesquels Dieu parle aux hommes.  En conscience pourquoi faut-il que Dieu nous soit barbare, et qu’il parle à nous une langue non comprise ?  Pourquoi parle-t-il aux hommes, si ce n’est pour qu’ils le comprennent ?  Pourquoi les choses qui partout ailleurs seraient estimées ridicules, et contre le sens commun, sont-elles estimées bonnes et bienséantes en la religion ?  Mais, n’est-ce pas une invention de l’ennemi de notre salut, afin d’exposer le Christianisme en risée, et empêcher que la parole de Dieu ne vous soit intelligible ? afin aussi que soit accomplie la menace que Dieu fait à un peuple contre lequel il est courroucé, disant (1 Cor. 14 :21): Je parlerai à ce peuple par des gens d’un autre langage et en langue étrangère et ainsi ils ne m’écouteront pas.

Ce mal en a produit un autre : Car en vous ôtant l’Écriture sainte, qui est le livre qui rend les hommes savants, on vous a donné des images qu’on appelle livres des ignorants, parce qu’elles entretiennent l’ignorance.  Par là on amuse le peuple, au lieu de l’enseigner.  Au lieu de l’instruction on lui donne de la récréation. Mais parce que contre cela le deuxième commandement de la loi de Dieu est formel, qui défend en matière du service de Dieu, de faire aucune image, et se prosterner devant aucune représentation des choses qui sont au ciel, ou en terre ; et que cette loi prononcée avec foudres, foudroie encore aujourd’hui cette superstition, ces docteurs ont imposé silence à la loi de Dieu et osé rayer ce commandement des heures et offices [livres de prières] qu’on vous met entre les mains.  Chose où nous avons nos yeux pour suspects, et qu’à peine on peut croire quand on la voit : que des vermisseaux de terre aient osé corriger la loi que Dieu a prononcée de sa bouche, cette loi même par laquelle ils seront jugés au dernier jour !

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