LES CHRÉTIENS ET L’ÉTAT, HIER ET AUJOURD’HUI 1

Quoi de plus naturel que d’affirmer que notre époque ressemble bien peu à celle de l’empire romain, autour du bassin méditerranéen, il y a environ deux mille ans.  Tant d’eau a coulé sous les ponts (romains ou non), tant de choses ont changé, tant de bouleversements sont intervenus au cours de l’histoire des hommes, dans leurs relations sociales, économiques, dans l’histoire des idées…   On ne peut se pencher sur cette époque ancienne qu’à la manière dont on visite un musée intéressant mais qui n’a que peu de rapports avec notre situation présente.  Dans ces conditions, quelle valeur pourrait avoir aujourd’hui le message de l’Evangile, justement proclamé il y a deux mille ans au sein de ce même bassin méditerranéen par des prêcheurs itinérants ? Et que pourrions-nous y trouver qui nous guide et nous éclaire dans notre rapport à l’État et à la vie politique aujourd’hui; par rapport aux choix qui se présentent à nous et dont les conséquences nous apparaissent de plus en plus comme incalculables, aussi bien pour nous-mêmes que pour les générations qui nous suivront ?

Commençons par prendre à rebours l’idée toute faite énoncée ci-dessus, qui nous semble a priori si naturelle.

Un monde globalisé

Le monde méditerranéen d’alors, sous la férule de Rome, était un monde très globalisé, dont la langue dominante, en tous cas dans la partie orientale de l’empire, n’était pas l’anglais, l’arabe ou le chinois, mais le grec.   Les voies de communication y étaient assez développées grâce à l’administration impériale.  Les viae romanae, ces voies dont des vestiges démontrent l’extraordinaire conception et la stabilité, avaient tissé un étroit maillage au sein de l’empire, permettant aux voyageurs et aux commerçants des déplacements faciles et nombreux, de plus sécurisés par l’omniprésence des légions romaines.  Sans parler des ponts et des aqueducs acheminant l’élément vital de l’eau d’un point A vers un point B éloigné…

Le pouvoir occidental de Rome était en lutte avec plusieurs puissances du Moyen Orient, comme les Parthes, ou les Perses.  L’étatisme romain oppressait les régions de l’empire et les accablait d’impôts, source de haine particulière contre l’occupant dans la turbulente province de Judée.

Un foisonnement de religions et de courants philosophiques

C’était aussi un monde où les idées, les courants philosophiques et les religions circulaient très librement, en partie grâce aux enseignants itinérants qui proposaient chacun une formule de vie à leurs adeptes.  Les cultes orientaux, les religions à mystère y foisonnaient.  Le pluralisme religieux, la variété des croyances, caractérisait donc ce monde globalisé. L’État romain garantissait la liberté de tous les cultes, à condition que le culte de l’empereur, qui prit des proportions de plus en plus étendues au cours des âges, fût maintenu par tous. Il fallait en quelque sorte vénérer L’État en la personne de l’empereur, considéré comme un demi-dieu.  Le ciment de l’existence des peuples, le cadre de leurs activités, c’était donc le gouvernement de Rome considéré comme universel.

C’est d’ailleurs là que la foi chrétienne a apporté un ferment de contestation beaucoup plus profond qu’un mouvement d’opposition ou une rébellion violente pouvant être matée par les légions de l’empereur.  Car elle annonçait qu’au-delà des autorités humaines, il existe une autorité suprême, celle de Jésus-Christ, le crucifié-ressuscité, qui exige une allégeance unique.  Lui seul porte le titre de Roi des rois, et les normes de droit et de justice qui doivent prévaloir entre les humains dans toutes les situations qu’on peut rencontrer, doivent dériver de celles qu’il a enseignées et pratiquées, et dont Dieu, son Père céleste, est la source.  Il n’est alors pas étonnant que les autorités romaines aient commencé à apercevoir le danger que représentait cette foi pour la perpétuation de leur système religieux et politique ! Même si les chrétiens ne prenaient pas les armes pour opérer un renversement de régime, même s’ils restaient des sujets loyaux de l’empire, leur coeur, leurs pensées, allaient vers un autre Seigneur que l’empereur de Rome.  D’où les violentes persécutions contre eux qui commencèrent à voir le jour au sein de l’empire dès le premier siècle.

Le culte du sexe

Non moins présent, le culte du sexe était ici ou là officialisé, comme dans la grande ville de Corinthe, en Grèce, où le temple d’Aphrodite était le lieu d’une prostitution sacrée fort prisée des habitants et des nombreux visiteurs.  Les prostitués mâles n’étaient d’ailleurs pas en reste.  Toujours sur le plan des mœurs, l’homosexualité et la bisexualité étaient tout à fait courantes.  Quant à la pédophilie, elle avait son propre culte dans certaines villes grecques, sous l’égide d’Eros, intermédiaire entre les hommes et les dieux, auquel on offrait même des sacrifices.  La pédérastie, héritée de la culture grecque, a été pratiquée par certains empereurs.

L’État providence

L’État romain se faisait non seulement respecter par la supériorité de ses forces armées, mais il se faisait aussi adorer en la personne de l’empereur comme pourvoyant aux besoins matériels des populations qu’il contrôlait. L’État providence ne date pas de notre époque, loin s’en faut !  Ce culte de l’État providence assurait la cohésion de l’empire.  L’État pourvoyait aux besoins de tous ses sujets, lesquels lui devaient une loyauté sans faille.  Sous l’empereur Dioclétien, à la fin du troisième siècle, ce culte de l’État providence atteint son paroxysme, avec la divinisation complète du souverain.  Il est certain que dans ce contexte, le christianisme, qui n’a jamais prêché la révolte contre les autorités publiques, fut néanmoins un ferment de subversion interne, en déclarant que seul Christ est le Seigneur éternel.  Mis en présence de choix radicaux, les chrétiens soutenaient qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, suivant en cela les disciples Pierre et Jean confrontés aux autorités de leur temps (Actes 5 :26-41).

Des similitudes frappantes avec notre situation

Si l’on compare la situation du monde gréco-romain avec la nôtre, on s’apercevra que les similitudes sont souvent frappantes, en dépit de ce qui nous apparaît si différent.  L’actualité du message chrétien dans le monde d’aujourd’hui pourrait en fait s’appuyer sur ces nombreuses similitudes.  Mais plus profondément encore, ce sont sans doute les paroles de l’Ecclésiaste, elles-mêmes bien antérieures au monde gréco-romain, qui doivent nous guider dans notre compréhension de l’histoire (1 :9) : Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : il n’y a rien de nouveau sous le soleil. 

Quel est donc le rapport entre les chrétiens et l’État moderne ?  Aujourd’hui, du moins dans un certain nombre de pays, et contrairement à ce qu’était la vie politique sous l’empire romain, les citoyens – qu’ils soient chrétiens ou non – participent directement à la vie de la Cité par le biais des élections de leurs représentants au niveau local, régional ou national, de partis politiques, de la vie associative. Ils ont accès à certains médias, peuvent former des groupes de pression, manifester publiquement, et devraient pouvoir compter sur un système judiciaire indépendant du pouvoir exécutif qui leur garantisse ces libertés publiques. En son temps, l’apôtre Paul, citoyen romain et donc détenteur de certains droits civils, fit appel à ceux-ci  dans la prison de Philippes, en Macédoine (Actes 16 :35-40), lorsqu’il réclama que les préteurs viennent le relâcher publiquement, lui et ses compagnons, alors qu’ils avaient ordonné aux licteurs (détenteurs des verges et du glaive) de les battre en public sans jugement, donc illégalement aux yeux du droit romain.  Les préteurs, effrayés par cette situation d’illégalité qui pouvait leur coûter fort cher devant leur autorité hiérarchique, obtempérèrent illico.

Mais dans quelle mesure cet État moderne ne se déclare-t-il pas la norme ultime de ce qui est bien ou mal, de ce qui est juste ou injuste, de ce qui est information fiable ou bien pure infox destinée à être éradiquée par ses soins « bienveillants » ?  Et, posons-nous avec lucidité la question : jusqu’à quand tolèrera-t-il en son sein l’existence d’une minorité qui ose affirmer que tout pouvoir dans le ciel et sur la terre a été donné à Jésus-Christ, raison pour laquelle il peut commander à ses disciples de répandre son enseignement dans toutes les nations afin qu’elles lui obéissent (Matthieu 28 :18-20) ? Jusqu’à quand permettra-t-il de s’exprimer librement à ceux qui remettent en question ses prétentions de contrôle total sur les personnes, les familles, les communautés, notamment par le biais du biopouvoir, (une coercition imposée non plus à l’esprit de ses sujets par l’idéologie qu’il véhicule à travers tous les rouages de propagande officielle qu’il contrôle, mais au corps physique même de ses sujets) ?

Dans un article à suivre, nous nous pencherons sur la nature du pouvoir à la lumière de l’Écriture, et sur la phrase prononcée par Jésus : Mon Royaume n’est pas de ce monde, afin de la situer dans son contexte précis et en évaluer la portée aux conséquences profondes.

Eric Kayayan
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