BIBLE ET HERMÉNEUTIQUE : LA MÉTHODE ALLÉGORIQUE

A la suite de la définition générale que j’ai esquissée sur ce que signifie le mot “herméneutique” (cliquez ici) il convient maintenant d’évaluer plusieurs modèles d’interprétation de la Bible qui se sont incarnés dans des approches exégétiques assez bien définies au cours de l’histoire de l’Église.

Appliqué à la Bible, le choix d’une grille herméneutique de lecture nous confronte à nos propres présupposés sur l’origine, la nature et l’intention de la Bible.  Au vu de la littérature qui a été écrite sur la Bible au cours des siècles, il est également clair que des modèles herméneutiques différents lui ont été appliqués, certains proches les uns des autres, d’autres très éloignés.  Ce que l’on pense ou croit être le contenu de la Bible est nécessairement influencé par le modèle ou la méthode herméneutique que l’on tient pour valide et utilise. Mais ceci est également vrai en sens inverse : ce que l’on pense ou croit être le contenu de la Bible influencera nécessairement le modèle ou la méthode herméneutique que l’on tiendra pour valide et que l’on emploiera.  Il est donc nécessaire de distinguer entre ces modèles afin de comprendre comment l’exposition d’un même texte a pu donner lieu à des interprétations si différentes sous la plume de divers auteurs.

Décrivons donc de manière sommaire quelques modèles dominants d’interprétation de la Bible qui ont eu ou ont toujours cours :

La méthode allégorique :

Sous l’influence du philosophe grec Platon (427-348 av. J-C) et de sa vision dualiste du monde, qui considère la réalité perceptible comme un vague reflet d’un monde stable d’idées inchangeables et éternelles, on recherche derrière chaque texte une signification spirituelle plus profonde que l’apparence ne le laisse entrevoir.  La signification littérale n’est qu’une indication d’un sens plus élevé, non pas charnel, mais spirituel.  Le grand savant juif contemporain de l’apôtre Paul, Philon d’Alexandrie (c. 20 av. J-C – c. 45 ap. J-C), se fera le héraut du platonisme au premier siècle, et contribuera à imposer la méthode allégorique.  A la suite de Philon, l’épître de Barnabas, également issue d’Alexandrie (elle est rédigée entre la destruction de Jérusalem en 70 ap. J-C, et sa reconstruction par l’empereur Hadrien vers 135), introduit cette méthode dans les cercles chrétiens, allant jusqu’à allégoriser les prescriptions du Lévitique sur le régime alimentaire. Des pères de l’Église tels que Clément d’Alexandrie (env. 155-220 ap. J-C), Origène (env. 185-254), voire Augustin d’Hippone (354-430) ont souvent utilisé la méthode allégorique pour exposer des passages bibliques, afin d’y lire un point spécifique de doctrine qui ne saurait être mis en lumière ou compris par une simple lecture littérale du texte ; également dans le but de leur attribuer une dimension intellectuelle ou un aspect moral plus acceptable à leurs yeux que ceux que la simple compréhension littérale ne laisserait transparaître, laquelle leur semblait peu vraisemblable. Selon la formule médiévale : Non solum voces sed et res significativae sunt, non seulement les mots, mais les choses aussi signifient [quelque chose de plus élevé].

Un exemple d’allégorisation tiré de la Somme Théologique de Thomas d’Aquin (rédigée entre 1266 et 1273) en éclairera l’intention et la pratique. A l’article 1 de la disputation concernant la corruption du bien de la nature (Pars I, 2, question 85) il est fait appel en ces termes à la parabole du bon Samaritain, dans le cadre de la discussion consistant à savoir si le bien de la nature est diminué par le péché : L’homme dont il est question en S. Luc (10:30) « qui descend de Jérusalem à Jéricho », c’est celui qui tombe dans le désordre du péché et qui est de ce fait « dépouillé des dons de la grâce et blessé dans ceux de la nature » comme l’explique S. Bède. Le péché diminue donc le bien de la nature.

Le grave écueil d’une telle méthode, outre celui de ne pas prendre en compte le genre littéraire du passage considéré, son insertion dans le contexte plus large où il apparaît, et tout simplement le message immédiat dont il est porteur, consiste à pratiquer une sorte de distillation voire d’alchimie de sens, une interprétation protéiforme variant selon le but pratique ou parénétique recherché, afin de satisfaire tel ou tel présupposé philosophique ou théologique. Il faut alors nécessairement avoir recours à des exégètes qui ne sont plus de simples expositeurs formés aux disciplines linguistiques et théologiques, mais des « décrypteurs » de sens cachés,  lesquels demeureront inaccessibles au commun des mortels sans leur médiation.

Durant le Moyen Age s’est cependant développée une école de lecture littérale de l’Écriture, en particulier avec le français Nicolas de Lyre (c. 1265-1349), qui maîtrisait aussi bien la langue hébraïque que les commentaires rabbiniques, et qui rédigea lui-même deux commentaires de la Bible : les postilles littérales, imprimées dès la fin du XVe siècle, et les postilles morales, version abrégée des précédentes ne comprenant que l’exposition du sens spirituel qu’il propose. Déjà durant la période primitive de l’histoire de l’Église, l’école d’Antioche privilégiait l’exposition littérale et historique de l’Écriture, en contraste avec celle d’Alexandrie.  C’est entre autres avec Nicolas de Lyre que la manière d’aborder l’Écriture a été étendue à quatre niveaux, formant ainsi le Quadriga de la glose médiévale, censé donner, outre une compréhension littérale du texte, une expression aux trois vertus théologales: la foi (credenda, ce qu’il faut croire), l’amour (agenda, ce qu’il faut faire), l’espérance (speranda, ce qu’il faut espérer):

  1. le sens littéral, qui, dans l’ordre, précède les autres (littera gesta docet);
  2. le sens allégorique, permettant de comprendre quelque chose à partir de quelque chose d’autre (quid credas allegoria);
  3. le sens tropologique, ou moral, qui comprend des leçons propres à orienter la marche dans la vie des lecteurs ou auditeurs (moralis quid agas).
  4. le sens anagogique, attribuant une portée céleste à des données terrestres (quo tendas anagogia);

Ainsi, une référence à l’eau dans la Bible pouvait être comprise comme se rapportant à l’élément physique de l’eau (sens littéral); à la pratique du baptême (sens allégorique) ; à la pureté morale (sens moral); à la vie éternelle dans la nouvelle Jérusalem (sens anagogique).

Au cours du prochain article sur le thème général de l’herméneutique biblique, ses présupposés particuliers et comment une méthode exégétique en rend compte, j’aborderai la question de l’exégèse grammatico-historique.

Eric Kayayan
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