LES CARACTÉRISTIQUES D’UN ENSEIGNEMENT CHRÉTIEN 1

Le texte qui suit est le premier volet d’une conférence donnée par Véronique Haberey lors du webinaire organisé par Foi et Vie Réformées le 21 novembre 2020 sur le thème de l’enseignement chrétien dans un cadre biblique (face à la sécularisation quels défis principiels et pratiques?) Véronique Haberey  est docteur en sciences de l’éducation, présidente de l’association R.O.C., membre du comité directeur de l’établissement privé Daniel (Guebwiller, Haut-Rhin), professeur-chercheur en haute école de santé (Neuchâtel, Suisse). 

Le premier volet de la conférence de madame Haberey traite des deux premiers points mentionnés au début de son exposé: Le regard sur l’enfant et la famille/le regard sur l’enseignement et la pédagogie.  Le troisième volet (la question du statut du savoir et de la connaissance) sera traité dans un second article, à suivre, tandis que les deux derniers volets  (la formation du caractère/la dimension spirituelle) paraîtront sur notre site dans un troisième et dernier article. 

Vous pourrez retrouver la vidéo compète de son intervention ainsi que celle des autres intervenants à ce webinaire, dans la page vidéo de notre site.

 

Il y aurait beaucoup à dire sur ce thème, et nombreux sont les hommes et les femmes qui ont déjà mis par écrit, pratiqué, expérimenté dans ce domaine de l’éducation chrétienne depuis des siècles, voire des millénaires maintenant.

Mon propos autour des 5 dimensions principales qui sous-tendent l’éducation chrétienne :

1.- Le regard sur l’enfant et sa famille

2.- Le regard sur l’enseignant et la pédagogie

3.- La question du statut du savoir et de la connaissance

4.- La formation du caractère

5.- La dimension spirituelle

Ces 5 dimensions portent, à mon sens, les caractéristiques de l’éducation chrétienne et qui sont aussi au fondement de notre conception pédagogique dans notre Établissement Daniel à Guebwiller, en Alsace. Il s’agit d’un Établissement hors contrat, fondé en 1986 par deux familles : les Bussière et les Busch qui souhaitaient offrir à leurs enfants une éducation différente, reposant sur les valeurs de l’Évangile.

Partie de rien, l’école compte aujourd’hui près de 200 enfants, de la maternelle jusqu’à la terminale. Il y aurait des romans à vous raconter sur cette école, mais ce n’est pas l’objet. Je vais donc essayer d’éclairer ces 5 dimensions fondamentales que j’évoquais juste avant. J’illustrerai de brèves explications théoriques par des exemples, mais aussi par les passages de la Parole sur lesquels ils se fondent, ainsi que par des écrits de Pères de l’Église ou de grands théologiens. Luc Bussière a fait un important travail de recension et réuni un grand nombre d’écrits sur ce sujet dans un ouvrage intitulé « Richesses enfouies » et cela me permet d’appuyer de nombreux points sur lesquels je vais m’attarder à présent.

Si je devais résumer l’éducation chrétienne en un mot clé, je dirais « RESTAURATION ».

Le premier fondement de l’éducation chrétienne réside sans doute dans :

1.- Le regard sur l’enfant et sa famille

Si l’on considère l’enfant, force est de constater que notre vision diverge de celles d’éminents philosophes français qui considèrent que l’enfant est bon de nature. C’est un postulat que nous allons retrouver comme sources de problèmes dans plusieurs de nos dimensions. Nous considérons, pour notre part, qu’il est affecté par la chute dès sa naissance (Romains 3, 23). Mais nous considérons aussi qu’il a beaucoup de valeur aux yeux de Dieu et que ce dernier a une destinée pour lui. Il nécessite néanmoins une « restauration » intérieure complète. Celle-ci ne peut s’effectuer par la seule accumulation de savoirs scientifiques. C’est pourquoi nous insistons sur la dimension spirituelle et la formation du caractère.

Il est pour nous capital de croire en l’enfant, quel qu’il soit, quel que soit son parcours, ses difficultés, son caractère, c’est-à-dire, comme le dit Dietrich Bonhoeffer « de voir l’enfant avec les yeux de Christ ».

De nombreux enfants sont passés dans notre établissement qui ont connu des changements radicaux dans leur comportement, de par le simple fait, bien souvent, qu’ils recevaient la valorisation et l’intérêt qu’ils n’avaient pas reçu dans l’école conventionnelle. De plus en plus nombreux sont aussi les enfants avec les troubles les plus divers qui ne trouvent pas leur place dans l’EN : Dys en tous genres (dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques…), troubles du comportements (en hausse alarmante), autistes… Un réel défi pour nos équipes pédagogiques peu ou pas formées dans le domaine. L’inclusion est certainement un idéal tout à fait louable mais quelles en sont les limites ? En termes de nombre d’enfants à besoins spécifiques ? En termes de lourdeur du handicap ?… Nous cherchons à accueillir au maximum ces enfants différents et considérons que c’est aussi une excellente opportunité pour les autres enfants d’apprendre à accepter la différence et en découvrir aussi les richesses, et surtout de pratiquer l’altruisme. Mais le défi des limites se repose sans cesse et le débat n’est jamais réellement clos. L’école se doit d’accueillir ces enfants qui sont aussi dans le plan de Dieu et aimés de Lui.

Ceci dit, nous ne sommes pas seuls dans cette tâche ardue qu’est l’éducation car, contrairement à M. Vincent Peillon qui considère que l’école se doit -je cite- « d’arracher l’enfant aux déterminisme familial » afin de l’éduquer aux seules valeurs de la République (soit dit en passant, ce qui n’était qu’un projet à l’époque trouve aujourd’hui toute sa concrétisation dans la volonté d’interdire l’instruction en famille), nous pensons, au contraire, que la famille joue un rôle décisif. De fait elle constitue le premier éducateur, elle constitue le contexte premier de l’enseignement de la sagesse. Le livre des Proverbes recommande à maintes reprises de rester attaché à l’éducation que l’on a reçue de son père et de sa mère : Mon fils, sois attentif à l’éducation que tu reçois de ton père, et ne néglige pas l’instruction de ta mère (Proverbes 1 : 8).

Dans nos écoles, nous considérons être dans un partenariat avec les parents qui nous confient une mission d’éducation, sans pour autant démissionner. Il paraît essentiel de soigner au maximum la relation aux familles, en les incluant dans certains temps scolaires, dans la participation à la vie de l’école (quand la situation sanitaire le permet, mais aussi quand les activités le leur permettent dans le contexte actuel où le temps devient une denrée de plus en plus rare.)

Le théologien Jean-Marc Berthoud (né en 1939) appuie cette conception de la famille comme premier lieu d’éducation :

Cette responsabilité première de la famille dans l’éducation et l’instruction de ses enfants est une vérité d’ordre créationnel, donc valable pour tous les hommes, croyants ou non, de quelque lieu ou de quelque temps qu’ils puissent être. La famille est l’institution fondatrice de la société. C’est d’elle, et de l’alliance que Dieu établit avec elle dès la création (et non l’État apostat des temps modernes et du mythe d’un contrat social originel, imaginaire, sur lequel il se fonde) que découlent toutes les institutions sociales.

En résumé :

Tout enfant est marqué par le péché depuis la chute en Eden, chacun nécessite une restauration. Mais chacun d’eux est créé à l’image de Dieu et revêt une très grande valeur. Les parents, aidés par l’école chrétienne, vont tout mettre en œuvre pour le faire advenir à cette destinée.

2.- L’enseignant et la pédagogie

Si la vision de l’enfant est spécifique, celle de l’enseignant l’est également. L’enseignant est vu avant tout comme le partenaire du parent et comme investi d’une mission, à la fois par les parents et par Dieu.

En tout premier lieu il se doit d’être un exemple. Comme l’a écrit notre cher Directeur Patrick Schmitt, L’enseignant constitue le « premier témoignage rendu à la vérité de la Parole de Dieu. Sa vie concrétise la personne de Christ aux yeux des élèves » (Schmitt, 2018, p.108). Une responsabilité oh combien importante !

Certes il a comme mission de transmettre des connaissances, et des connaissances de qualité. Nous insistons beaucoup sur ce point et notre taux de réussite aux examens (en incluant les élèves en difficulté) le démontre. Mais l’enseignant est aussi conscient que ces connaissances ne sont pas une fin en soi. Elles deviennent réellement importantes lorsqu’elles sont ancrées dans le tout cohérent, l’univers global, de la création de Dieu. Nous y reviendrons en parlant du statut de la connaissance.

L’enseignant a donc comme but premier de transmettre une connaissance comprise à la lumière de la Révélation. Il a comme objectif une restauration dans trois dimensions : c’est d’abord la restauration de l’image de Dieu en l’enfant, ensuite la restauration de la connaissance insérée dans cette œuvre globale divine, et enfin la restauration de la relation à ses semblables. Cette restauration se fait selon la pensée biblique.

Loin de se considérer comme celui qui sait, le Maître par excellence, l’enseignant chrétien se considère comme serviteur du Maître auprès des élèves et comme celui qui en continuel apprentissage auprès de son Maître. Il a donc une posture d’humilité. Il se doit donc d’être à l’écoute de Dieu régulièrement et de vivre une vie de foi et de communion avec le Seigneur. C’est ce qui lui permet de conserver cette posture et de continuer à considérer toujours son activité comme un véritable ministère. Ce qui lui permet d’être à même d’aimer tous les enfants, y compris les plus « difficiles », mais aussi d’être inspiré pour enseigner d’une manière qui va être à la fois pertinente et engageante pour que les enfants puissent progresser réellement.

Nous le disions en introduction au chapitre, la tâche est ardue et la responsabilité est grande. Pourtant, elle est d’une importance de premier ordre. Pour Erasme (le grand philosophe et théologien des 15, 16ème siècles), il n’y a que peu de distance entre un enseignant et un roi !!

Erasme (1467-1536)

La tâche de Maître d’école n’est pas éloignée de celle du roi… selon l’opinion des foules, c’est une tâche des plus humbles ; mais en fait c’est l’occupation la plus noble.

Et Luther place cette activité quasiment au même rang d’importance que celle de la prédication.

Luther (1483-1546)

Et moi, si je pouvais ou devais abandonner l’office de la prédication et d’autres occupations, il n’est aucune fonction que j’exercerais aussi volontiers que celle de Maître d’école. Car je sais que cette œuvre est, à côté de l’office de la prédication, la plus utile, la plus belle et la meilleure de toutes, et je ne sais pas même laquelle des deux est la meilleure.  P.92

 

L’enseignement est donc une tâche noble, mais non par les qualités de l’enseignant, aussi doué soit-il, mais en vertu de sa dépendance de Dieu, y compris dans sa pédagogie.

La conception pédagogique

La vision de la pédagogie est aussi composée de certaines nuances dans l’éducation chrétienne. C’est un domaine qui a fait couler beaucoup d’encre et occupé beaucoup de chercheurs des sciences de l’éducation, en particulier durant tout le siècle dernier. Elle est parfois devenue une fin en soi et là, à nouveau, notre conception est divergente. Elle reste, dans cette compréhension des choses, un simple outil. Elle est au service de l’enseignant et de l’élève, sans pour autant constituer une fin en soi.

Elle doit avant tout être inspirée par Dieu.

Ici notre conception chrétienne se heurte à deux écueils majeurs issus de la pensée contemporaine :

Un écueil est de penser que la pédagogie est une fin en soi. Les sciences de l’éducation regorgent de méthodes et de moyens pédagogiques censés résoudre tous les problèmes des élèves. C’est l’illusion d’une technê toute puissante directement issue du positivisme d’Auguste Comte.

Certes il y a de très bonnes choses qui ont été développées en pédagogie, mais attention à leur usage. En effet, de nombreux pédagogues ont mis en avant l’intérêt du socioconstructivisme comme le terreau idéal de l’apprentissage. Là encore, nous ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Mais ce SC ne doit rester qu’un outil. Oui, bien sûr nous pensons que la connaissance se construit, un peu à la manière d’un puzzle. Mais elle ne se construit pas sur la base de rien. Elle se construit sur la base du puzzle terminé, ce puzzle étant la création de notre Dieu.

Que l’on considère également la pédagogie par projet, très à la mode également. Bien entendu nous la défendons aussi et nous en reconnaissons toutes les vertus. Mais attention aux dérives. Être trop dans une pédagogie comme celle-ci, c’est quelque part faire valoir une pensée utilitariste et conséquentialiste. De plus en plus les enfants disent en parlant de telle ou telle matière « À quoi ça sert ? » et la remettent en question. Pourquoi ? Parce qu’on leur a fait comprendre à travers ce genre de pédagogie utilisée à tort et à travers, que le seul but de la connaissance était l’application pratique. En faisant cela, on décrédibilise le savoir fondamental et la connaissance au sens plus large. On porte atteinte directement à la culture.  Nombreux sont les philosophes et sociologues, comme Michel Foucault parmi d’autres, qui ont dénoncé cela il y a déjà fort longtemps. Le risque est de réduire alors aussi notre compréhension du monde à l’utile, et de mettre Dieu encore davantage de côté.

Je pourrais vous citer encore différents autres thèmes des sciences de l’éducation qui posent problème pour nous, mais nous y serions jusqu’à demain, on pensera simplement à l’évaluation par exemple, et à son utilisation pour favoriser une société de compétition qui contribue à créer une pression négative sur l’estime de soi et des souffrances identitaires majeures chez les enfants…

Bref, la liste est longue en lien avec les moyens et méthodes pédagogiques !

L’autre écueil en pédagogie est davantage d’ordre relationnel et émane directement de cette pensée rousseauiste que l’enfant est bon dès le départ. Cela a des implications majeures dans l’éducation.

C’est une illusion que de pouvoir faire de l’enfant un égal qui n’a besoin que de bienveillance et non d’autorité. C’est se méprendre sur la notion même d’autorité qui, contrairement au pouvoir coercitif, vise à faire augmenter l’autre (étymologie), à le faire grandir. En considérant que l’enfant est bon, on a considéré que la bienveillance suffisait et qu’il n’y avait pas besoin d’autorité. Or tout comme l’enseignant est soumis à l’autorité divine, l’élève doit être soumis à l’autorité du Maître. La bienveillance est indispensable, mais faire preuve d’autorité c’est justement faire preuve de bienveillance parce que l’enfant a besoin de ce cadre pour grandir. Nombre de problèmes aujourd’hui dans l’école sont dus à un non-respect de l’autorité.

Par ailleurs, nous sommes aussi convaincus qu’en apprenant à l’enfant le respect de l’autorité du Maître, nous lui apprenons aussi le respect de l’autorité de Dieu. Comment un enfant qui ne respecte pas… qui remet en question constamment, pourra-t-il s’accommoder de l’autorité de Dieu sur sa vie ?

En résumé :

Le rejet de Dieu a conduit l’homme à penser qu’il pouvait accéder à toute la connaissance par lui-même et les moyens qu’il se donne et élabore.

Mais le rejet de Dieu au siècle des Lumières a aussi conduit à rejeter l’autorité (celle de Dieu, donc par glissement, le rejet de toute autorité [nous en sommes des spécialistes en France] et donc l’autorité du Maître aussi. Les crises de l’école en lien avec ce thème sont nombreuses à être rapportées dans les milieux de l’éducation.

L’enseignant chrétien reste une figure d’autorité, non par autoritarisme mais parce qu’il est investi d’une autorité qui lui est conférée en vertu de l’appel qui lui est donné d’exercer ce ministère. Et il l’exerce dans l’entière dépendance à Dieu.

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