Dans la série d’attributs divins énoncés dans le premier article de la Confession protestante de La Rochelle, je reprends celui d’incompréhensibilité après avoir évoqué dans un premier article ceux de l’unicité, de la simplicité, de l’éternité et de la nature spirituelle de Dieu.
Le terme incompréhensibilité ne signifie pas que Dieu est inconnaissable, existant en dehors de tout contact avec une créature quelconque, mais qu’il ne peut être connu et compris entièrement et absolument que par lui-même. Le psaume 147 déclare : Notre Seigneur est grand, d’une force immense, son intelligence n’a pas de limites. Au deuxième chapitre de la première lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul leur écrit : Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. Qui donc, parmi les hommes, sait ce qui concerne l’homme si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Ce que Paul affirme ici, c’est que l’Esprit de Dieu qui sonde tout, même les profondeurs de Dieu, est le même qui a révélé aux hommes les desseins de Dieu pour leur salut en Jésus-Christ. Le Dieu qui se connaît parfaitement et absolument, peut et veut se révéler aux hommes, en se manifestant personnellement à eux. Il est à la fois absolu et personnel.
Même si ceci demeure pour nous un mystère (comment un Dieu absolument transcendant pourrait-il se révéler à des créatures aussi infimes et a priori éloignées de lui ?), soutenir qu’il n’en est pas capable serait nier en soi qu’il est le Dieu tout puissant. Le fait qu’il l’a clairement fait dans sa Révélation, et très particulièrement et personnellement en la personne de Jésus-Christ, témoigne de ce qu’il peut et veut le faire. Il rend non seulement cette connaissance de lui-même possible aux humains par son Esprit, mais elle leur est en fait nécessaire, comme Jésus le dit dans la prière qu’il adresse à son Père céleste au chapitre 17 de l’évangile selon Jean : Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
Paul fait écho à cette parole du Christ lorsqu’il écrit aux chrétiens d’Éphèse (1.16-17): Je fais mention de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse connaître. La révélation de Dieu sur lui-même à ses créatures n’annule jamais cette incompréhensibilité fondamentale qui fait de lui un être unique et élevé au-dessus de toutes choses. Bien plutôt, elle les amène à une véritable adoration et obéissance. C’est ce que le verset 29 du chapitre 29 du livre du Deutéronome exprime dans une parole à la fois simple et frappante : Les choses cachées sont à l’Éternel, notre Dieu ; les choses révélées sont à nous et à nos fils, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi.
Invisible et inchangeable, ce sont les deux attributs divins suivants énoncés dans la Confession de La Rochelle. Pour ce qui est de l’invisibilité essentielle de Dieu, elle est affirmée plusieurs fois dans la Bible, notamment à la fin du prologue de l’évangile selon Jean : Personne n’a jamais vu Dieu ; l’unique engendré de Dieu, qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître. Au dernier chapitre de sa première lettre à Timothée (6.16), Paul parle du bienheureux et seul Souverain, le roi des rois et le Seigneur des seigneurs qui seul possède l’immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir. Cette invisibilité et inaccessibilité de Dieu en soi, nous ramènent à la notion d’incompréhensibilité. Tout comme cette dernière, elles ne signifient nullement que Dieu ne se fait pas connaître aux êtres humains, et même suffisamment et adéquatement pour ce qui leur est nécessaire. Pour preuve de ceci, dans un remarquable dialogue entre Jésus et son disciple Philippe rapporté au chapitre 14 de l’évangile de Jean, Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus lui répond : Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ? Celui qui m’a vu, a vu le Père. Comment dis-tu ? Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Un passage central de la lettre de Paul aux Colossiens concernant le Christ (1.15), énonce l’affirmation suivante qui rejoint entièrement cette déclaration de Jésus à Philippe : Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création. Car en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible.
Pour ce qui est du caractère essentiellement inchangeable de Dieu (on parle d’immutabilité), c’est aussi une affirmation que l’on retrouve maintes fois sur les pages de la Bible, et qui est bien sûr lié à sa dimension éternelle. Le nom de l’Éternel (Yahweh) par lequel il se révèle à Moïse au début du livre de l’Exode, le définit comme tel. L’apôtre Jacques, lui, déclare, au premier chapitre de sa lettre : Ne vous y trompez pas, mes frères bien-aimés : tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement, ni ombre de variation.
Il faut cependant souligner à nouveau que ce caractère inchangeable ne limite nullement Dieu – comme le voudraient certains – dans son pouvoir de se révéler aux hommes dans leur propre condition de créatures finies, limitées et temporelles. Il le fait régulièrement – par exemple à Moïse – dans le cours de leur histoire qu’Il dirige de manière souveraine et selon son plan et son conseil éternel. La Bible est justement l’expression de cette révélation dans le temps et l’histoire des hommes, et le langage qu’elle emploie pour décrire l’action de Dieu dans l’histoire, est parfaitement adapté à la capacité humaine de compréhension. A cet égard rien n’est plus parlant (criant serait-on tenté de dire) que l’Incarnation du Fils éternel de Dieu dans le temps de l’histoire humaine, et l’Évangile qu’a manifesté cette Incarnation, de la conception du Christ jusqu’à son Ascension en gloire. Si l’on rencontre effectivement dans la Bible des expressions qui indiquent ce qui semble être un revirement de la part de Dieu par rapport à un cours d’action divine initialement révélé, c’est dans le cadre de cette communication nécessairement adaptée à des créatures temporelles qui ne sauraient saisir le Conseil de Dieu tel qu’Il l’a décidé de toute éternité. On perçoit bien ici comment les attributs divins ne se contredisent jamais les uns les autres, mais expriment de manière parfaitement harmonieuse ce que nous pouvons comprendre de son être. La part de mystère qui demeure évidemment dans tout ceci nous ramène à notre statut de créatures non seulement limitées de par notre nature même, mais – bien plus encore – totalement dépendantes d’une révélation et d’un salut auxquels nous ne pourrions jamais accéder par nos propres moyens, efforts et facultés, tous viciés par le péché qu’a entraîné la Chute.
Il nous reste à examiner l’attribut divin d’ineffabilité mentionné dans la Confession de La Rochelle, ce que je ferai dans un prochain article.
