MAINTENIR LA FOI SUR LES GALÈRES DU ROI

Une série d’articles postée sur ce blog et intitulée “l’Eglise sous la Croix”, d’après l’ouvrage du même titre de Daniel Benoit, publié en 1882, nous a familiarisés avec l’Eglise dite du Désert, c’est-à-dire l’Eglise des protestants français après la Révocation de l’Edit de Nantes par le roi Louis XIV, en 1685.  Pendant près d’un siècle, ces croyants, interdits de culte, persécutés de toutes parts, obligés de se réunir en assemblées secrètes dans des lieux reculés pour adorer Dieu, ont pourtant maintenu avec un courage héroïque leur foi vivante, alors même qu’on traquait leurs pasteurs, souvent condamnés à être pendus et exécutés lorsqu’ils étaient pris.  D’autres croyants furent envoyés aux galères du roi comme forçats, et c’est l’histoire des deux derniers galériens protestants, Antoine Riaille et Paul Achard, que cet article ainsi que le suivant se proposent de relater, en suivant le récit de Daniel Benoit, complété par quelques  informations recueillies sur le site herodote.net.  Entre 1745 et 1775, l’année de l’avènement du roi Louis XVI, Riaille et Achard passèrent trente ans en captivité, dont une partie sur les galères du roi, n’étant enfin libérés que sur le tard de leur vie.

Antoine Riaille et Paul Achard étaient tous deux originaires de la vallée de la Drôme.  Ils furent tous deux condamnés, à quelques jours d’intervalle, aux galères à perpétuité.  Achard était cordonnier à Châtillon-en-Diois.  Un jour qu’il était à son travail, le 19 ou le 20 janvier 1745, il vit passer devant sa fenêtre le pasteur du Désert, Roland, qui se rendait dans une maison.  Bientôt trois brigades d’archers, suivies d’un détachement de soldats, font irruption dans le bourg.  Evidemment, c’est le pasteur qu’ils recherchent.  Alors Achard quitte son établi et, par une ruelle détournée, court prévenir Roland, qui prend aussitôt la fuite.  Quand les soldats arrivèrent, le pasteur était hors d’atteinte, mais ils s’emparèrent de celui qui lui avait sauvé la vie au prix de sa liberté, et le conduisirent, avec quelques autres, dans la tour de Crest.  Quelque temps plus tard, Riaille, tailleur du bourg d’Aouste, situé aux portes de Crest, vint le rejoindre.  Tout son crime était d’avoir assisté à une assemblée du Désert, mais ce crime était passible des galères.  Les prisonniers furent transférés de la cour de Crest dans la conciergerie de Grenoble.  Leur procès fut conduit rapidement. Achard, accusé du “crime d’enlèvement de prédicant, avec attroupement”, ce qui était faux, fut condamné, le 9 février à servir le roi par force sur les galères, durant toute sa vie.  Auparavant, il devait être flétri sur la place publique de la ville de Die par le fer rouge appliqué sur l’épaule gauche par l’exécuteur de haute justice.  Le fer ardent allait imprimer de manière indélébile sur son corps ces trois lettres: G.A.L., pour ‘galérien’.  Ensuite il allait être réintégré dans les prisons jusqu’au départ de la chaîne.  Il lui était défendu sous peine de pendaison de rompre son ban.  Il était aussi condamné à une très forte amende envers le roi et devait régler tous les frais de justice.  Riaille fut à son tour condamné le 26 février aux travaux forcés à perpétuité sur les galères du roi, et lui aussi marqué au fer rouge.  Un troisième prisonnier les accompagnait, condamné aux galères perpétuelles pour le seul crime d’avoir enseigné aux enfants protestants de la ville de Dieulefit le chant des psaumes.  Avant de subir sa peine, il fut mis au carcan sur la place publique de cette ville et l’on attacha près de lui son Nouveau Testament et son recueil de psaumes.  Quelqu’un du milieu de la foule lui ayant crié, en se moquant de lui:  “Chante tes psaumes maintenant!”, il se mit aussitôt à entonner les louanges de Dieu.

Comment décrire les souffrances de la chaîne en route vers les galères?  Les protestants, attachés avec des criminels de la pire espèce, étaient d’abord exposés à toutes les intempéries des saisons, à la bise glaciale de la vallée du Rhône ou à la chaleur ardente du soleil de cette région.  Ils n’avaient trop souvent qu’une nourriture insuffisante.  Ils étaient conduits par des cavaliers insolents qui les abreuvaient d’injures et de coups sans faire aucunement attention à leurs gémissements, ressemblant en cela aux trafiquants poussant en Afrique leurs troupeaux d’esclaves enchaînés.  Quand la nuit venait, on les entassait dans une écurie quelconque, toujours liés deux à deux, et il leur fallait jusqu’au bout subir l’odieux voisinage d’êtres humains dégradés qui n’arrêtaient pas de blasphémer.  Quelques-uns, les vieillards ou les enfants, ne résistaient pas à ces premières épreuves, et mouraient sur le chemin qui les amenait vers les galères, avant même d’avoir mis la main à la rame.

Quand Paul Achard et Antoine Riaille arrivèrent à Toulon, où se trouvaient les quelque quarante galères royales, ils furent d’abord conduits chez l’intendant de la marine, et de là au bureau de la classe des forçats, où l’on mit par écrit sur un registre leur nom et leur signalement.  A partir de ce moment, ils avaient perdu, en quelque sorte, leur personnalité.  On n’allait plus les désigner que par leur numéro d’écrou: celui d’Antoine Riaille était le 2340, et celui d’Achard le 2472.  Une fois sur le vaisseau, on les dépouilla de leurs habits pour leur faire revêtir l’uniforme infâme des criminels qui les environnaient et quand ils furent couverts de la casaque verte, chacun d’eux fut enchaîné avec un autre forçat; mais on se garda bien de leur donner pour compagnons de fers des frères en la foi.  On ne voulait pas qu’ils puissent se réconforter l’un l’autre.  On les obligea de ramer avec des malfaiteurs de la pire espèce.  Leurs cheveux furent coupés en signe de servitude.  Désormais, leur nourriture ordinaire allait être quelques fèves cuites dans l’eau et un morceau de pain noir.  Quand la nuit arriva, ils durent s’étendre sur le banc et dormir à la lumière d’une lampe fumeuse suspendue au milieu de la galère, environnés de leurs compagnons couverts de haillons et de vermine.  Parmi les galériens, outre les Huguenots, il y avait des criminels de droit commun, de simples vagabonds, des faux-saulniers coupables de contrebande sur le sel, et même des esclaves turcs achetés sur les marchés aux esclaves de Livourne, de Gênes ou de Malte…  Mais il y avait également des galériens volontaires. Ceux-là n’étaient pas enchaînés et pouvaient donc s’échapper si la galère coulait (et s’ils savaient nager), ce qui n’était évidemment pas le cas des condamnés.  Tous ces galériens formaient ensemble ce qu’on appelle « la chiourme ».  Une centaine de soldats dirigés par quatre officiers d’épée (issus de la noblesse) servaient sur chaque vaisseau.

Mais comment se déroulait le travail des galères?  Les forçats étaient attachés deux à deux sur le banc du navire sans pouvoir aller plus loin que la longueur de la chaîne, mangeant et dormant à leurs places.  On les occupait à remuer de longues et lourdes rames qui faisaient mouvoir la galère.  Contre la pluie et le soleil, le froid piquant des nuits sur la mer, ils n’avaient d’autre abri qu’une toile légère qu’on étendait au-dessus de leurs têtes quand le temps le permettait.  Une fois en marche, on repliait la toile qui gênait les rames.  Le long des bancs s’élevait une galerie où se promenaient les surveillants, le nerf de boeuf à la main.  Ceux-ci, dépassant les instructions de leurs chefs, accablaient de coups les malheureux qui ne ramaient pas assez vite.  Tout récalcitrant, ou tout protestant refusant d’accomplir les gestes requis lors de l’office religieux traditionnel, était étendu nu sur le dos.  Quatre hommes lui tenaient les mains et les pieds, tandis que le bourreau, armé d’une corde goudronnée raidie par l’eau de la mer, frappait de toutes ses forces.  Le patient rebondissait sous la corde, les chairs se déchiraient, son dos ne formait qu’une plaie vive et saignante qu’on lavait avec du sel et du vinaigre.  Quelques-uns recevaient jusqu’à cent cinquante coups; s’ils s’évanouissaient, on les portait à l’hôpital et à peine guéris on appliquait le nombre de coups restants.  Songez que des jeunes gens de dix-huit, de seize et même de quinze ans furent soumis à un pareil régime.  Un enfant d’un peu plus de douze ans fut même condamné aux galères pour avoir accompagné son père et sa mère aux assemblées.  Aussi mourait-on vite sur les galères, sous la triple influence des mauvais traitements, de la mauvaise nourriture et d’un travail excessif.

Le 27 septembre 1748, une ordonnance du roi Louis XV abolissait l’institution des galères, incorporant des dernières dans la marine royale. Les forçats seraient désormais internés dans des prisons côtières ou dans des navires hors service, notamment à Toulon, dans ce qui serait le bagne. Vers la fin de sa détention, Paul Achard pouvait partiellement travailler comme cordonnier, ce qui était son métier. Il gagnait ainsi quelques maigres revenus.  Les Eglises protestantes entouraient ces galériens d’une sollicitude attentive.  Ils recevaient souvent, non seulement de France, mais des pays étrangers, des lettres touchantes, qui renfermaient à la fois des secours matériels et des encouragements précieux.  Ils étaient liés entre eux par des règlements étroits et s’encourageaient mutuellement à la persévérance.  Ils trouvaient moyen de se procurer des Nouveaux Testaments, des recueils de psaumes, des livres de prière.  L’un d’eux, intitulé “Les Armes de Sion”, composé par un pasteur de l’étranger contient cette prière, que nos deux galériens ont dû répéter plus d’une fois: Fais, Seigneur, que je regarde l’anneau de fer que je porte comme un anneau nuptial, et les chaînes que je traîne comme des chaînes de ton amour, puisque tu châties celui que tu aimes et que tu fouettes tout enfant que tu reconnais comme le tien. 

Au cours de ses trente ans de captivité, Paul Achard n’aura de cesse d’écrire des lettres à sa famille pour les encourager à tâcher d’obtenir sa libération de manière légale.  A plusieurs reprises il nourrira l’espoir d’une libération prochaine.  Lui et Riaille verront plusieurs de leur compagnons de captivité sortir des fers au cours de leurs trente années comme forçats, mais leurs espoirs seront régulièrement déçus: promesses oubliées, refroidissement dans la sollicitude de leur propre famille, comportements rigoureux d’officiers  locaux appliquant à la lettre les édits royaux, alors même qu’à Paris, capitale du royaume, on souhaitait plutôt fermer les yeux et laisser ces édits tomber d’eux-mêmes en désuétude.  Nous  verrons lors d’un prochain article, comment Achard et Riaille, les deux derniers galériens protestants, furent libérés.

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