LA PEINE DE MORT A L’AUNE DE LA BIBLE

par Charles Nicolas

Je me souviens de l’horreur qu’Albert Camus a ressentie, ayant accompagné son père alors qu’il était enfant lors d’une exécution publique en Algérie. De quel droit des êtres humains pourraient-ils mettre fin à la vie de leurs semblables ? Notez qu’on pourrait également demander de quel droit des êtres humains pourraient mettre certains de leurs semblables en prison ? Ce n’est pas exactement la même chose, me direz-vous. Ce n’est pas entièrement différent, non plus, quand on place la liberté au-dessus de tout. Finalement, ceux qui mettent d’autres personnes en prison sont-ils à coup sûr meilleurs que ceux qu’ils emprisonnent ? Cela n’est pas certain.

Mais il y a surtout un florilège de mots et d’expressions, entendus dans les éloges adressés à Robert Badinter (1928-2024), le talentueux garde des sceaux récemment disparu,  à l’origine de l’abolition de la peine de mort en France, qui nourrissent une sorte de malaise pour le lecteur de la Bible que je suis : Ligue des droits de l’Homme, esprit des Lumières, humanisme, socialisme, progressisme, universalisme... Et cette réponse que fit Robert Badinter alors qu’on lui proposait de faire de la politique : Je préfère l’idéal au réel. Tout cela fait apparaître à mes yeux un sérieux porte-à-faux avec ce qu’enseigne l’Ecriture.

  1. Tu ne tueras pas

Dans l’Ancien Testament, la peine de mort est envisagée dans certains cas, non pas parce que la vie d’un être humain aurait peu de valeur, mais au contraire parce qu’elle a une valeur plus grande qu’il y paraît, une valeur qui tient à son origine divine : tout être humain est créé à l’image de Dieu. C’est pourquoi Dieu dit : Qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car Dieu a fait l’homme à son image (Gn 9.6). Cela est dit lors de l’alliance que Dieu établit avec Noé, c’est-à-dire dans un cadre qui demeure jusqu’à la fin des temps. Ainsi, celui qui attente à la vie de son semblable commet une faute plus grande qu’il l’imagine : cela atteint jusqu’à Dieu.

Ainsi, il n’est pas juste qu’un meurtre demeure impuni. Et un autre homme sera l’instrument de la rétribution : Par l’homme son sang sera versé. Il ne s’agit pas d’un simple constat. Il s’agit d’un commandement. Y aura-t-il donc un second meurtre ? Non car il ne s’agit pas de vengeance sauvage mais de rétribution : c’est le prix à payer, c’est le prix juste pour un acte si grave.

Il faut noter que cette notion de rétribution n’est pas premièrement pragmatique : il ne s’agit pas avant tout de savoir si la peine de mort apaisera les proches de la victime ou dissuadera d’autres meurtres. Il s’agit de rappeler qu’une vie a été ôtée volontairement, avec préméditation et sans circonstances atténuantes, et que cela doit être sanctionné par la vie du meurtrier, ni plus ni moins.

Il arrive un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime, a dit Robert Badinter. Derrière le mot humanité, on entend ici la modération, la bonté, la largesse, la pitié. On pense à une double solidarité, bien compréhensible finalement, avec la victime et avec le meurtrier. Oui, si Dieu n’existait pas, nous pourrions en rester là.

  1. De la part de Dieu

Par l’homme son sang sera versé. Ici, on ne parle pas de droits seulement, mais de devoir. Sur cette terre où Dieu semble absent, des hommes reçoivent de Dieu une délégation pour accomplir ce qu’Il veut. Or, si ce que Dieu veut est inspiré par son Amour, cela est aussi inspiré par sa Justice, on l’oublie volontiers. C’est encore par accommodement que l’on a retenu l’un et pas l’autre. Cela concernait-il le peuple de Dieu ? Non, nous l’avons dit, en Genèse 9 le peuple de Dieu n’existe pas encore. Cela concerne toute l’humanité.

Ainsi, par délégation, les parents ont le devoir d’aimer leurs enfants et de les corriger. N’importe comment ? Non, de la part de Dieu qui est juste. Ne pas le faire, c’est mentir à l’enfant en lui faisant croire que ses actes sont et seront sans conséquence (Pr 22.15 ; 29.15). Et l’amour ? Ne pas le faire est un manque d’amour, dit la Bible (Pr 3.12 ; 13.24 ; 23.13-14 ; Hé 12.5-11). C’est s’épargner de la peine pour l’instant présent, sans considération pour l’avenir sur la terre (il faudra bien apprendre, un jour ou l’autre), sans considération aussi pour la fin de l’Histoire, c’est-à-dire pour le jugement de Dieu : Car il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement (Hé 9.27. Cf. Ro 12.19). L’esprit des Lumières considère cela comme dépassé.

  1. L’épée du magistrat

Dans sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul écrit : Ce n’est pas pour rien que le magistrat porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour manifester sa colère et punir ceux qui font le mal (13.4). Il s’agit d’un des rares cas dans le Nouveau Testament où il est question de la vie de la cité et non de l’Eglise de Jésus-Christ. Le magistrat peut-il agir à sa guise ? Bien sûr que non, pas plus que les parents. Est-il motivé par la haine ou par un intérêt personnel ? Pas davantage. Il doit agir comme un serviteur, c’est-à-dire de manière désintéressée, de la part d’une autorité plus grande (13.1-2). Paul parle-t-il du magistrat chrétien ? Non, c’est une disposition universelle.

Dans un cadre différent, il en est de même pour le soldat. Il n’est pas là pour passer sa colère ou pour se remplir les poches : il est là pour accomplir une mission qu’il n’a pas choisie lui-même. Quelqu’un d’autre l’envoie, comme le dit si bien le centenier dont le serviteur était malade : Moi qui suis soumis à mes supérieurs, je dis à mon serviteur fait cela et il le fait (Lc 7.8). Jésus a admiré la foi de cet officier qui avait perçu la dimension verticale de la délégation.

Chacun peut remarquer que le métier de soldat n’est pas remis en cause dans la Bible, pas même par Jean-Baptiste qui prêchait la repentance. Il est pourtant écrit : Tu ne tueras pas. On devrait lire plutôt : Tu ne commettras pas de meurtre, ce qui n’est pas la même chose. Il est vrai qu’il peut être tentant pour des soldats d’abuser de leur force. Quand certains sont venus voir Jean-Baptiste pour lui demander ce qu’ils devaient faire, celui-ci ne leur a pas demandé de déposer leurs armes. Il leur a dit : Ne commettez ni fraude, ni extorsion ; et contentez-vous de votre solde (Lc 3.14). En d’autres termes : Soyez irréprochables dans votre métier de soldat !

4. Et la nouvelle alliance ?

Il existe, malheureusement, des cas d’usage excessif ou injuste de la peine de mort. Cela implique-t-il d’y renoncer absolument ? Cela n’est pas certain. Abusus non tollit usum : l’abus n’abolit pas l’usage. Il existe également des conditions de détention indignes dans bien des pays, mais cela ne remet pas en cause le principe de la privation de liberté dans certains cas.

Oui mais avec la peine de mort, il y a une conséquence irréversible. En effet, et c’est la raison pour laquelle des dispositions doivent être prises pour éviter autant que faire se peut des erreurs. Un seul cas est concerné d’après Genèse 9 : le meurtre volontaire avec préméditation et sans circonstance atténuante.

Et la Nouvelle alliance ? Et la grâce de Dieu, et le pardon ? Tout cela existe bel et bien et ne reste pas sans effets. Cependant, ces réalités ne se situent pas sur le même plan. On ne peut pas séparer totalement ce qui relève des dispositions universelles (la grâce générale) et ce qui relève de la grâce de rédemtion, mais on ne peut pas les confondre non plus, ce qui pourtant se fait bien souvent.

5. Le bien le plus absolu

Une autre considération devrait être rappelée : faire de l’existence terrestre le bien le plus absolu ne correspond pas à la vision chrétienne des choses. C’est la vision de ceux qui n’ont que cette vie présente. David affirme dans sa prière : Ta bonté vaut mieux que la vie (Ps 63.4). Quand Jésus affirme qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Jn 15.13), il n’exclut pas le sens littéral. Cela apparaît aussi quand il évoque le meurtre des Galiléens par les soldats de Pilate ou encore les personnes tuées par la chute de la tour de Siloé (Lc 13.1-5) : il ne s’apitoie pas, et il attire les regards sur une réalité plus haute et plus urgente : Si vous ne vous repentez pas, vous périrez de la même manière. Il y a autre chose que la vie sur cette terre !

L’épée que le magistrat reçoit de la part de Dieu suppose donc que la mort physique d’une personne n’est pas l’échéance ultime de son existence. L’échéance ultime est le jugement dernier, comme il est écrit : Il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement (Hé 9.27).  La parole de Jésus que le brigand repenti entend, sur la croix, peut bien faire de lui l’homme le plus heureux sur terre, alors même qu’il va mourir dans peu de temps.

6. Et les droits de l’Homme ?

Il y a un texte qui tend à s’imposer aux consciences bien plus que la Bible, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 à Paris. Soyons honnêtes : lequel de ces deux textes doit compter en premier à nos yeux ? Lequel des deux devrait être lu à la lumière de l’autre ? Ou encore : sont-ils, l’un et l’autre, porteurs du même message, finalement ? Beaucoup semblent le croire. Pourtant, la nature et l’intention de ces deux textes ne sont pas identiques.

L’Homme a des droits, évidemment : Tu ne commettras pas de meurtre, c’est pour ne pas attenter à ce qui a du prix aux yeux de Dieu, c’est pour protéger la vie ! C’est là une des missions essentielles des magistrats. Mais pour Dieu, depuis la Chute, les droits de l’Homme sont ceux d’un condamné à mort. Cela apparaît d’une manière particulièrement frappante dans les paroles du brigand repentant à la croix. Dialogue avec l’autre brigand, d’abord : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes ; mais celui-ci [Jésus] n’a rien fait de mal (Lc 23.41) ; dialogue avec Jésus ensuite : Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton règne (23.42).

On pourrait commenter cela longuement. Je dirai simplement que si les présupposés que j’ai formulés sont justes, ils modifient passablement notre manière de considérer les choses. La question de la peine de mort demeurera toujours extrêmement sensible. Mais l’abolition pure et simple est-elle le signe de plus d’humanité ou celui d’une humanité qui se définit à la lumière de ses propres références, sans Dieu?

Charles Nicolas est un pasteur réformé évangélique (UNEPREF), aumônier hospitalier à Alès (Gard).

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