Dialogue DIALOGUE & ANTILOGUE
UN ÉDIFICE INDESTRUCTIBLE

Un joyau architectural des XIIe et XIIIe siècles, un chef-d’œuvre de l’art gothique, un monument connu, visité et célébré internationalement vient de subir des dégâts considérables à la suite de l’incendie ayant ravagé sa charpente composée de poutres provenant de quelque mille trois cents chênes, certains vieux de mille deux cents ans, provoquant stupeur et consternation non seulement à Paris ou en France, mais dans le monde entier.

Pour quiconque, comme moi-même, a grandi à l’ombre de ces tours séculaires, a assisté à nombre de concerts d’orgue offerts au public chaque dimanche après-midi, y a amené tous les amis étrangers de passage à Paris l’ayant pris pour guide d’un jour, ayant même une fois été réquisitionné pour faire circuler dans la cathédrale un sac de collecte destiné à couvrir les frais d’une maîtrise d’enfants venue de très loin pour une tournée de concerts en Europe (!), le choc et la tristesse ne sont pas petits.

Les remarques suivantes ne sont donc en rien la marque d’une indifférence ou d’un regard hautain porté sur un désastre culturel de cette nature.

Mais puisqu’une cathédrale chrétienne est censée être tout d’abord un lieu de culte adressé à celui dont prennent le nom ceux qui l’ont érigée, nom qui les identifie, ne faut-il pas donner en priorité la parole à celui-là même qui porta ce nom le tout premier, afin d’entendre de sa bouche quel culte au juste il a enseigné à rendre à Dieu – en esprit et en vérité – à tous ceux qui prononcent son nom et se réclament de lui ?  A moins bien sûr que la valeur artistique d’un édifice cultuel, la splendeur des objets qu’on y exhibe, le poids de sa présence au cœur de l’histoire d’une ville et d’un pays n’aient depuis longtemps relégué l’objet unique et essentiel de ce culte dans les cendres de l’histoire, le remplaçant progressivement par une adoration tournée sur soi-même, ses priorités, sa mémoire culturelle, sur ce que l’on croit relever du domaine spirituel, en dépit de l’enseignement du Maître, voire directement contre sa parole.   Car entre la religion du Christ et la religion civile dont Notre-Dame de Paris est finalement devenue le symbole, à l’image des trois temples païens du Capitole du temps de Rome, le gouffre n’est pas mince.  Ces derniers jours, nombre de commentateurs n’ont pas manqué de souligner l’ambivalence symbolique du monument niché au coeur de l’île de la Cité, de Paris, de la France.

Lors de son ministère terrestre, Jésus ne fit pas mystère à ses disciples que la plus belle construction ornant alors Jérusalem, en l’occurrence le temple dont la reconstruction depuis le roi Hérode le Grand avait pris quarante-six ans, n’était pas destinée à subsister à toujours, aussi glorieuse qu’elle ait alors pu paraître aux yeux de ces mêmes disciples, non seulement en tant que lieu centralisé du culte rendu à Yahweh, mais également comme sujet de grande fierté nationale.  Au chapitre 13 de l’évangile selon Marc (voir aussi Matthieu 24 et Luc 21), nous les trouvons en train d’admirer l’architecture du temple et de vouloir faire partager leur admiration à Jésus : Lorsque Jésus sortit du temple, un de ses disciples lui dit : Maître, regarde, quelles pierres, quelles constructions ! Et, comme bien souvent lors de ces échanges, ce n’est rien de moins qu’une douche froide que leur administre le Maître : Vois-tu ces grandes constructions ?  Il ne restera pierre sur pierre qui ne soit renversé.  Quarante-six ans de travaux « pharaoniques » soudainement réduits à néant ?  Mais dans quelles conditions et sous quelle force destructrice ? Incendie accidentel ? Attentat criminel ? Nouvelle dévastation militaire par une armée étrangère? Jésus, interrogé à ce propos par ses disciples, ira avec eux s’asseoir en face du temple, sur le mont des Oliviers, pour les enseigner à nouveau.  Il ne s’agit pas pour lui de donner une description détaillée des circonstances de la destruction du temple en question, mais plutôt d’en offrir la clé spirituelle et eschatologique. Avec sa venue sur terre, avec l’accomplissement de son ministère dans les jours et semaines à venir, le temple de Jérusalem n’aura plus de raison d’être, car ce qu’il annonçait symboliquement depuis presque mille ans sous ses différentes formes, reconstructions après destructions, est en passe de revêtir sa forme finale:  celle d’un édifice spirituel indestructible, greffé sur le corps incorruptible  de celui qui, mis à mort dans l’humiliation totale, engloutira une fois pour toutes cette mort par son sacrifice volontaire accompli au bénéfice de tous ceux qui vivront par la foi dans sa mort et sa résurrection (« Tout est accompli », dernière parole de Jésus dans Jean 19 :30).

Avec ou sans bâtiment cultuel, sous un baobab ou à l’intérieur de la plus belle construction pouvant accueillir des centaines de fidèles – peu importe – « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » enseignait-il à ses disciples (Matthieu 18:20).  En promettant sa présence au milieu de ceux qui seraient assemblés en son nom (c’est-à-dire en aucun autre nom que le sien, mais également avec tout ce qu’implique ce nom!) il signifiait la présence d’une église-assemblée (ekklesia) à laquelle  rien ne manque pour être qualifiée comme telle, dans la seule mesure où l’autorité liée à son nom est indissociablement liée à l’obéissance à ses paroles (“… et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit”, avant-dernière parole du Christ à ses disciples envoyés en mission dans Matthieu 28:20a, conditionnant la toute dernière parole, la promesse de sa présence vivante en leur sein: “Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde”, 20b).

Cet édifice spirituel et indestructible, c’est aussi ce dont fera état l’apôtre Pierre soi-même dans sa première lettre adressée à tous les chrétiens dispersés à travers les provinces orientales de l’empire romain en raison d’une sévère persécution (1 Pierre 2:1-8).  Ces circonstances éprouvantes de persécution et de dispersion rendent d’autant plus puissante et éloquente la qualification de cette maison spirituelle qui s’édifie sur un seul fondement légitime. Édifice dont la pierre d’angle, vivante et indestructible n’est autre que Jésus-Christ, souligne l’apôtre:

Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu, et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce , en vue d’offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ; car il y a dans l’Écriture [Ésaïe 40 :6-8]: «Voici je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse », et « celui qui croit en elle ne sera pas confondu » [Esaïe 28 :16].  L’honneur est donc pour vous qui croyez.  Mais pour les incrédules, « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale, celle de l’angle [psaume 118 :22] et une pierre d’achoppement et un rocher de scandale [Ésaïe 8 :14-15].

La citation du psaume 118 en particulier montre que la division entre ceux qui ne seront pas tournés en confusion et ceux qui achopperont, ne s’opère pas sur le fait que certains construisent et d’autres nom, mais sur le fait que certains le font sur la seule pierre choisie et précieuse, Jésus-Christ, tandis que d’autres l’ont rejetée d’une manière ou d’une autre, la remplaçant par une pierre angulaire de leur choix, censée soutenir la structure architectonique de tout l’édifice.  Quelle que soit alors la dimension et les canons esthétiques du bâtiment reposant sur une telle pierre, quelle que soit son ancienneté, cet édifice n’évitera à personne d’achopper sur la pierre vivante, choisie et précieuse devant Dieu.

Sans doute convient-il de méditer avec urgence sur cet enseignement apostolique à propos de la signification spirituelle du mot Église, alors qu’un culte national semble unir autour d’une cathédrale dévastée toutes sortes de chapelles idéologiques érigées sur des pierres d’angle qui prétendent cimenter l’unité d’un pays ravagé par ses divisions internes.  Car cette religion civile constituée de diverses synthèses et syncrétismes, qui débloque d’énormes crédits pour reconstruire les parties annihilées de Notre Dame de Paris, le tout augmenté par des promesses de dons s’élevant déjà à plusieurs centaines de millions d’euros en provenance des plus grands groupes financiers ou encore d’individus bien intentionnés, ne résistera pas davantage au feu dévastateur qui l’attend, que la vieille charpente et la flèche effondrées ne l’ont pu sous l’effet des flammes terribles. Comme tous les autres cultes voués à des divinités inventées par des hommes en quête de sens et d’unité avant elle, cette religion civile achoppe sur le rocher du Christ.  Il lui paraît toujours scandaleux, car il met à nu son incapacité à donner à l’existence un sens plénier et à ses adeptes une espérance vivante.

En particulier, pour tous ceux qui se nomment « chrétiens », pour leurs hiérarques (toutes chapelles confondues du reste), qui se sont pourtant laissé happer ou hypnotiser par cette religion d’État gravitant autour de l’Homme auto-divinisé et son nombril, méritant dès lors eux aussi le qualificatif d’ incrédules utilisé par l’apôtre Pierre dans sa lettre (2:7), combien grande sera la chute consécutive à l’achoppement sur la pierre choisie et précieuse devant Dieu qu’auront rejetée ceux qui croyaient bâtir ou rebâtir.  Car il ne s’agit pas tant ici d’un désastre culturel ou artistique auquel il est bon an mal an possible de remédier comme on l’a fait tant de fois dans le passé, mais bien d’un désastre spirituel irrémédiable…

Eric Kayayan
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