Dans son célèbre ouvrage L’Institution de la Religion Chrétienne, au chapitre 7 du troisième livre, le réformateur de l’Église Jean Calvin (1509-1564) traite en détail de ce qu’est la vie chrétienne. Le titre du chapitre est le suivant : La somme de la vie chrestienne : où il est traité de renoncer à nous-mesmes. Comme je l’ai déjà fait sur ce blog – avec l’introduction à son commentaire sur le livre des Actes des Apôtres (http://foietviereformees.org/2015/05/16/regne-du-christ-renouvellement-du-monde-1/ http://foietviereformees.org/2015/05/20/regne-du-christ-nouvellement-du-monde-calvin-sur-le-livre-des-actes-des-apotres-2/) je voudrais vous présenter le très bel extrait suivant. La vie chrétienne, nous dit Calvin, consiste à appartenir à Dieu de telle façon que nous ne pensions, disions ou fassions rien d’autre que ce qui est conforme à sa volonté. La vraie philosophie chrétienne est de lui soumettre notre volonté et nos pensées, en fait notre vie tout entière. Dans cette optique, il n’y a plus rien de profane ; toute activité, placée sous le regard du Seigneur, est sacrée. Contrairement à ce qu’ont enseigné les philosophes païens de l’antiquité, ce n’est pas la raison humaine qui doit gouverner l’homme, c’est le Saint Esprit de Dieu qui doit le conduire, en transformant intérieurement son coeur et sa raison.
Pour vous permettre de prendre contact directement avec la langue de Calvin (qui, ne l’oublions pas, écrit au 16e siècle) je ne changerai pas l’orthographe des mots ou la disposition des phrases, ajoutant simplement entre crochets quelques explications pour les mots ou passages difficiles.
« Venons maintenant au second poinct. Combien que [bien que] la Loy de Dieu a une tresbonne méthode, et une disposition bien ordonnée pour constituer nostre vie, néantmoins il a semblé expédient à ce bon Maistre céleste de former les siens à une doctrine [un enseignement] plus exquise, à la reigle qu’il leur avoit baillée [donnée] en sa Loy. Le commencement donc de ceste manière qu’il tient [adopte] est tel : assavoir que l’office [le devoir] des fidèles est d’offrir leurs corps à Dieu en hostie [sacrifice] vivante, saincte et agréable, et qu’en cela gist le service légitime que nous avons à luy rendre (Rom 12:1). De là s’ensuit ceste exhortation : que les fidèles ne s’accommodent point à la figure de ce siècle [du monde pécheur], mais soyent transformez d’une rénovation d’entendement, pour chercher et cognoistre [connaître] la volonté de Dieu. Cela est désia [déjà] un grand poinct de dire que nous sommes consacrez et dédiez à Dieu, pour ne plus rien penser d’oresnavant, parler, méditer, ne [ni] faire sinon à sa gloire. Or si nous ne sommes point nostres, mais appartenons au Seigneur, de là on peut voir [ce] que c’est que nous avons à faire de peur d’errer, et où nous avons à adresser toutes les parties de nostre vie. Nous ne sommes point nostres: pourtant [pour cette raison] que nostre raison et volonté ne dominent point en noz conseils [décisions], et en ce que nous avons à faire. Nous ne sommes point nostres: ne nous établissons donc point ceste fin [ce but] de chercher ce qui nous est expédient [commode] selon la chair. Nous ne sommes point nostres : oublions-nous donc nous-mesmes tant qu’il sera possible, et tout ce qui est à l’entour de nous. Derechef, Nous sommes au Seigneur : vivons et mourons à luy. Nous sommes au Seigneur: que sa volonté donc et sagesse préside à toutes noz actions. Nous sommes au Seigneur: que toutes les parties de nostre vie soyent référées à luy, comme à leur fin unique. O combien a profité l’homme, lequel se congnoissant n’estre pas sien [ne pas s’appartenir], a osté la seigneurie et régime de soy-mesme à sa propre raison, pour le résigner [abandonner] à Dieu! Car comme c’est la pire peste qu’ayent les hommes pour se perdre et se ruiner, que de complaire [se plaire] à eux-mesmes, aussi le port [protection] unique de salut est de n’estre point sage en soy-mesme, ne vouloir rien de soy, mais suyvre seulement le Seigneur. Pourtant [pour cette raison] que ce soit là nostre premier degré, de nous retirer de nous-mesmes, afin d’appliquer toute la force de nostre entendement au service de Dieu. I’appelle Service, non pas seulement celuy qui gist en l’obéissance de sa parolle, mais par lequel l’entendement de l’homme estant vuide [vide] de son propre sens, se convertit entièrement et se submet à l’Esprit de Dieu. Ceste transformation, laquelle sainct Paul appelle Renovation d’entendement (Ephes. 4, 23), a esté ignorée de tous les Philosophes, combien qu’elle soit la première entrée à la vie. Car ils enseignent que la seule raison doit régir et modérer l’homme, et pensent qu’on la doit seule escouter et suyvre, et ainsi luy défèrent [confèrent] le gouvernement de la vie. Au contraire, la philosophie Chrestienne veut qu’elle cède, et qu’elle se retire pour donner lieu au sainct Esprit, et estre domtée à la conduite d’iceluy [de celui-ci] à ce que l’homme ne vive plus de soy, mais ait en soy et souffre [accepte] Christ vivant et régnant. »
