LE SACRIFICE DÉFINITIF

Un épisode bien connu du livre de la Genèse (chapitre 22) dans la Bible, relate la demande faite par Dieu au patriarche Abraham d’aller sacrifier son fils Isaac, celui qui lui avait été accordé à l’âge de 99 ans, sur la foi d’une promesse faite par ce même Dieu, alors qu’à vues humaines Abraham et sa femme Sara ne pouvaient plus espérer engendrer un enfant depuis bien longtemps. Or voici que Dieu demande à Abraham d’aller lui offrir ce fils bien-aimé, dont doit sortir toute la postérité qui lui a été promise.  Il doit se rendre avec Isaac sur le mont Moriya afin de  l’offrir en holocauste, après un voyage de trois jours.  Isaac, ignorant l’issue planifiée du voyage, demande à son père où se trouve l’agneau qui doit être sacrifié. Son père lui répond alors : Mon fils, Dieu va se pourvoir lui-même  de l’agneau du sacrifice (22:8).  Isaac porte lui-même sur la montagne le bois qui doit servir à consumer la victime.  Au moment où Abraham, après avoir lié son fils, s’apprête à l’immoler, l’ange de l’Éternel arrête sa main en rendant témoignage de la foi dont il a fait preuve, car il était prêt à sacrifier son fils unique, sur la simple injonction de Dieu.  A ce moment précis, Abraham aperçoit un bélier pris par les cornes dans un buisson de ronces voisin, s’en empare, et l’offre en sacrifice à la place d’Isaac.

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Rembrandt, le Sacrifice d’Abraham (1635)

 

Que penser de cet épisode et de sa signification ?  Pour certains, il n’est que la preuve de la cruauté et de l’inhumanité inhérente au Dieu de la Bible: il faut lui obéir aveuglément, quitte à sacrifier ses propres enfants.  Pour illustrer cette opinion, je vous livre ici un extrait d’une interview (publiée sur le point.fr le 4 août 2016) avec Hamed Abdel-Samad, un penseur qui a abandonné la foi musulmane, est devenu athée et critique ce qu’il est convenu d’appeler les monothéismes, la foi en un Dieu unique.  On lui pose la question suivante : Si on adopte un point de vue farouchement athée, toutes les religions – et surtout les monothéismes peuvent être perçues comme ayant une dimension totalitaire. Ce n’est pas une exclusivité de l’islam… Hamed Abdel-Samad répond comme suit : Bien sûr. Les religions polythéistes, du fait de la diversité des dieux, sont moins enclines à ça. Il y a une place pour la négociation. Pour les naissances, vous vous adressez au dieu de la fertilité, en cas de décès au dieu de la mort… Vous n’êtes pas sous un contrôle unique. Mais les monothéismes, avec un Dieu jaloux, ont par essence quelque chose de totalitaire. Prenez l’épisode du sacrifice d’Abraham. Vous avez un père qui doit tuer son fils. Il faut obéir à une loi, en ignorant tout rationalisme ou dimension humaniste. Si le leader dit : « tue », vous obéissez… Les théologiens juifs et chrétiens ont par la suite transformé cette histoire en expliquant qu’il ne faut plus tuer d’êtres humains pour plaire à Dieu. Mais dans le Coran, c’est une preuve que si Dieu vous donne un ordre, vous l’exécutez. C’est un argument-clé des martyrs, pour qui il ne faut pas se soucier du sang versé, car Dieu sait ce qui est le meilleur pour vous.

La réponse d’Abdel-Samad confond en fait pas mal de choses et met en avant des notions tout à fait étrangères à la Bible.  D’abord, ce ne sont pas « les théologiens juifs et chrétiens qui ont par la suite transformé cette histoire en expliquant qu’il ne faut plus tuer d’êtres humains pour plaire à Dieu ».  Dans la loi de Moïse, au chapitre 20 du Lévitique, la Bible interdit sous peine de mort d’immoler ses enfants par le feu aux divinités païennes comme Molok. Un roi de Juda du nom d’Ahaz, se rendra plus tard coupable d’un tel méfait, est sera repris en des termes extrêmement sévères au second livre des Rois (chapitre 16) : Il alla même jusqu’à brûler son propre fils pour l’offrir aux idoles, commettant ainsi la même abomination que les nations païennes que l’Éternel avait dépossédées en faveur des Israélites. Notez que ce sont les religions païennes, polythéistes, qui réclamaient ce type de sacrifice, contrairement à ce qu’affirme Abdel-Samad, qui n’a lu la Bible qu’en diagonale, non pas tant pour le message qu’elle contient, que pour faire valoir ses propres idées.

Mais ce qui apparaît très clairement dans le récit de la Genèse, c’est que Dieu intervient justement pour empêcher le sacrifice d’Isaac qu’il avait pourtant demandé comme test ultime de la foi d’Abraham.  Cette intervention donne tout son sens à la réponse d’Abraham à Isaac qui lui demandait où était l’animal à sacrifier : Mon fils, Dieu va se pourvoir lui-même  de l’agneau du sacrifice. Dieu intervient in extremis pour signifier à Abraham que ce fils qu’il lui a accordé dans des conditions exceptionnelles n’est pas, ne saurait être celui qui peut satisfaire aux conditions d’une offrande parfaite et suffisante, même s’il appartient bien à Dieu en tout premier lieu.  Sa vie, symbolisée par son sang, lui appartient, comme en témoigne le signe de la circoncision qui lui a été appliqué à sa naissance.  Cependant, le seul fils unique qui pourra satisfaire parfaitement à ces conditions, c’est le Fils de Dieu incarné, Jésus-Christ, dont Isaac sert de type prémonitoire, et de la postérité duquel Jésus sortira. Il sera à la fois le sacrificateur, celui qui offre le sacrifice volontairement, et la victime sacrifiée, ce que ni Abraham ni Isaac ni aucun autre croyant ne pouvait accomplir.

Examinons donc quelques parallèles qui existent entre Isaac et Jésus-Christ :

  • Abraham était prêt à offrir son fils unique; l’évangile selon Jean nous dit (3:16): Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle.
  • Isaac a porté le bois qui devait servir au sacrifice, Jésus a porté lui-même la croix sur laquelle il allait être crucifié (Jean 19:17).
  • Isaac est revenu vivant de cette expédition après trois jours de voyage vers Moriya. Jésus-Christ est ressuscité des morts le troisième jour.
  • Abraham a indiqué que Dieu lui-même pourvoirait à la victime du sacrifice; au premier chapitre de l’évangile de Jean, Jésus est identifié par Jean-Baptiste comme « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », c’est-à-dire la victime innocente fournie par Dieu, qui accomplira l’expiation requise.
  • Dieu pourvoit au sacrifice par un bouc, un mâle; Jésus-Christ, le Fils de l’homme – selon l’expression qu’il employait souvent devant les autres pour se référer à sa personne – est à la fois Fils éternel de Dieu et premier-né de Marie, sa mère humaine.
  • Le lieu du sacrifice pour Abraham et Isaac est le mont Moriya ; c’est là-même que sera édifié le temple de Salomon dans l’enceinte duquel se dérouleront les sacrifices expiatoires. Au moment de la mort de Jésus sur la Croix à Golgotha, en dehors de la ville de Jérusalem, le rideau du Temple se déchirera, signe que le sacrifice définitif, parfait et suffisant a pris place, et que l’accès vers Dieu est désormais ouvert.

C’est bien en examinant ces parallèles qu’il convient de lire le texte de la Genèse, afin de ne pas se méprendre sur son sens ultime. On ne le comprend que par rapport à l’accomplissement parfait et définitif en Jésus-Christ de toutes les exigences divines : la demande du sacrifice d’Isaac met Abraham (et après lui tous les croyants) en présence de ces exigences de manière radicale et incontournable.  La substitution de la victime par un bélier montre que même Isaac ne saurait faire office de victime expiatoire, car il ne possède pas la nature et les caractéristiques requises.  Quant au bélier, il ne peut être, au mieux, qu’une préfiguration du sacrifice définitif à venir, celui de l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde: jusqu’à la venue de cet Agneau divin, tous les béliers ou agneaux sacrifiés ne seront que l’ombre du sacrifice à venir, et devront régulièrement être répétés afin que le peuple des croyants fixe ses regards sur ce qui doit être accompli un jour à venir une fois pour toutes.

Un passage de l’épître aux Hébreux (5:5-10) apportera une lumière supplémentaire sur toute cette question.  L’auteur compare les sacrificateurs dans l’Ancien Testament, avec le Christ : De même, ce n’est pas le Christ qui s’est donné lui-même la gloire de devenir souverain sacrificateur, mais c’est celui qui lui a dit : « Tu es mon fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui [Psaume 2:7] ; de même il est encore dit ailleurs : Tu es sacrificateur pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédek [Psaume 110:4].  C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort.  Ayant été exaucé à cause de sa piété, il a appris, bien qu’il fût Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert.  Après avoir été élevé à la perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent l’auteur d’un salut éternel, Dieu l’ayant proclamé souverain sacrificateur selon l’ordre de Melchisédek.

L’auteur de la lettre aux Hébreux explique plus loin (à partir du chapitre 7), qui était ce Melchisédek, mentionné comme sacrificateur du Dieu Très-Haut en Genèse 14:18.  Après une victoire remportée par Abraham sur une coalition de rois qui avait pris en butin son neveu Loth avec tous ses biens, ce Melchisédek roi de Salem  – qui deviendra plus tard Jérusalem – apporte du pain et du vin et bénit  Abraham, lequel lui paye la dîme en tribut volontaire.  Sans entrer dans tous les détails de la signification de cette rencontre, la présence de ce Melchisédek et la manière dont il est qualifié dans le texte de la Genèse, montrent qu’il est un sacrificateur au statut unique, bien différent de celui d’Abraham, puisque c’est ce dernier qui lui paie la dîme, et non l’inverse.  Le point que l’auteur de la lettre aux Hébreux souligne, est que Jésus-Christ relève de l’ordre de Melchisédek quant à son statut de sacrificateur : il s’agit d’un statut éternel, bien différent de celui de n’importe quel autre sacrificateur dans l’Ancien Testament, Abraham y compris. En résumé, Melchisédek est une figure, ou un type du Christ.  Sur la colline de Moriya, Abraham n’était pas qualifié pour apporter l’offrande définitive requise par Dieu, n’étant pas lui-même sacrificateur selon l’ordre de Melchisédek.

Un célèbre tableau de Marc Chagall représentant la scène du sacrifice d’Abraham, rend visible le sang du Christ, apparaissant crucifié à l’arrière-plan: son sang se répand sur Abraham et Isaac au moment où l’ange intervient pour arrêter la main d’Abraham: le peintre (qui, sans être chrétien était très sensible aux liens thématiques entre l’Ancien et le Nouveau Testament)  a parfaitement exprimé la signification prophétique de la demande du sacrifice d’Isaac, et son accomplissement par le Messie:

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Pour ce qui est de la foi d’Abraham, mis à l’épreuve par Dieu, l’auteur de la lettre aux Hébreux en parle comme suit (11:17-19): C’est par la foi qu’Abraham, mis à l’épreuve, a offert Isaac.  C’est son fils unique qu’il offrait, lui qui avait reçu les promesses et à qui il avait été dit : « C’est par Isaac que tu auras une descendance qui porte ton nom ».  Il comptait que Dieu est puissant, même pour faire ressusciter d’entre les morts.  C’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là un symbole.  Symbole de résurrection en effet, car le même Dieu dont la justice sainte et parfaite exige en rançon la vie de chaque pécheur, est celui qui la lui rend par sa Grâce, manifestée par la mort et la résurrection de Jésus-Christ.

Que peut-on dire en conclusion sur cet épisode et les interprétations diverses qu’il a suscitées?  Lire la Bible de manière superficielle, sans tenir compte de tous les éléments internes qu’elle fournit, et surtout sans lire le Christ comme point d’aboutissement de tout ce qu’elle révèle, c’est immanquablement manquer le point focal de cette lecture.  C’est se condamner à ne pas comprendre l’articulation des parties avec le tout et du tout avec les parties dans la progression imprimée par l’Esprit qui en a dirigé la composition au cours des siècles.   La seconde lettre de Pierre, dans le Nouveau Testament, le souligne vis-à-vis de ses lecteurs : Avant tout, sachez qu’aucune prophétie de l’Écriture ne peut être l’objet d’interprétation particulière, car ce n’est nullement par une volonté humaine qu’une prophétie a jamais été présentée, mais c’est poussés par le Saint Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu (2 Pierre 1:20-21).

 

Eric Kayayan
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